Rappelons, Constatons, Notons

Pol Minguet

 
Introduction

Madame la Présidente, Mesdames et Messieurs les Sénateurs, Membres de l’AMB,


Je suis né en République Démocratique du Congo, d’une mère congolaise et d’un père belge, à la fin des années 80, et pour cela, j’ai de la chance.


En effet, si j’étais né trente années plus tôt, je ne serais pas à la tribune devant vous, mais assis avec mes aînés. Je serais assis avec eux, le cœur et la chaire marqués par la souffrance et l’injustice. Je serai assis avec eux, l’âme meurtrie et en quête d’identité.
Si j’étais né à leur époque, je n’aurais pas pu grandir dans les conditions qui furent les miennes, de m’enjailler au quotidien, je n’aurai pas connu ma famille paternelle. En d’autres mots, une partie de mon enfance, de mon histoire, ma dignité m’aurait été volée.  

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Madame la Présidente, j’ai une chance encore plus grande aujourd’hui, c’est de pouvoir les aider dans cette noble cause, celle de la reconnaissance des souffrances qui sont les leurs, de mettre la lumière sur les discriminations ciblées et spécifiques dont ils ont été victimes.


 
1. Bases légales

Rappelant que la Belgique fut admise en date du 27 décembre 1945 parmi les membres des  Nations Unis, de facto était tenue de respecter ces engagements en matière de droits de l’Homme,
 
Rappelant les articles 10 et 11 de la Constitution garantissant le principe d’égalité et de  non-discrimination,
 
Rappelant que la Belgique a ratifiée la Déclaration universelle des droits de l’Homme (« DUDH »), adoptée par l’assemblée générale des Nations Unis le 10 décembre 1948,
 
Réaffirmant le principe d’égalité et de non-discrimination consacré par DUDH, qui proclament le respect de tous les droits et de toutes les libertés énoncées dans cette Déclaration sans distinction aucune, notamment de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d’opinion politique ou de toute autre opinion, d’origine nationale ou sociale, de fortune, de naissance ou de toute autre situation,

Constatant que les articles 1, 2, 6 et 15 de la DUHD n’ont pas été respecté par la Belgique(1),  à savoir le principe d’égalité et de non-discrimination, la reconnaissance de sa personnalité juridique et le droit de disposer d’une nationalité.  
 
Rappelant les deux Conférences mondiales de la lutte contre le racisme et la discrimination raciale, tenues à Genève en 1978 et 1983,
 
Rappelant que la Déclaration et le Programme d’action de Vienne adoptés par la Conférence mondiale sur les droits de l’homme en juin 1993 demandent l’élimination rapide et intégrale de toutes les formes de racisme et de discrimination raciale ainsi que de la xénophobie et de l’intolérance qui y est associée,
 
Mettant en avant la Déclaration et le Programme d’action de la Conférence mondiale contre le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie et l’intolérance qui y est associée, adoptés à Durban en août 2001, à laquelle la Belgique a participé,
 
Notant avec une grande préoccupation que, malgré les efforts de la communauté internationale, les principaux objectifs des trois Décennies de la lutte contre le racisme et la discrimination raciale n’ont pas été atteints et que d’innombrables êtres humains sont aujourd’hui encore victimes de diverses formes de racisme, de discrimination raciale, de xénophobie et de l’intolérance qui y est associée,
 
Constatant que certains traités et autres accords internationaux furent adoptés après les indépendances respectives de la République Démocratique du Congo, du Burundi et du Rwanda, auxquels la Belgique est liée,
 
Rappelant que les discriminations dont les métis sont victimes ont continuées de déployer leurs effets après l’indépendance de ces pays, jusqu’à aujourd’hui, et ce tant sur le territoire de ces pays colonisés par la Belgique ou administrés par elle sous mandat de la Société des Nations (« SDN ») et ensuite de l’Organisation des Nations Unies (« ONU »), que sur le territoire belge, (1)
                                                        

Notant que la discrimination ciblée sur les enfants métis issues de l’administration belge au Congo, au Burundi et au Rwanda (les « Métis ») déploie encore des effets néfastes de nos jours (actes de naissance falsifiés, liens de parenté bafoués, déracinement, difficultés administratives, etc.),  

 Constatant que la discrimination raciale ciblée et spécifique dont ont été victime les Métis, n’a pas été combattue et encore moins réparée, en particulier par les autorités publiques à tous les échelons, que leur existence a et reste remplie de souffrance et que les autorités publiques belges se doivent de reconnaitre et réparer (les « autorités »).


2. Groupe cible

Le nombre des Métis issus de l’union d’un/une belge lors de la colonisation ou de l’administration belge sous mandat de la SDN et ensuite sous tutelle de l’ONU est de plusieurs centaines en Belgique, mais aucun recensement officiel n’a été effectué.

Il s’agit de métis « coloniaux », ainsi que leurs mères et pères qui pendant leur enfance ont été enlevés pour être placés sous tutelle d’institutions sponsorisées par l’Etat belge, de familles d’accueil, de personnes tierces, etc. C’est-à-dire, qui ont été forcés de devenir orphelins malgré l’existence de leur parents biologiques, dont souvent, un père biologique qui disposait des ressources matérielles suffisantes pour subvenir à leurs besoins.

Le champ d’application rationae personae se cantonne donc aux Métis nés avant l’indépendance et qui ont été victime d’un enlèvement forcé pendant leur enfance, ou toutes autres formes de discriminations ciblées, ainsi que leurs parents.

 
3. Reconnaissance et excuses

Les Métis demandent aux autorités belges et en particulier au Gouvernement fédéral, au Pouvoir législatif (Chambre et Senat), aux Régions et aux Communautés, à toute entité qui poursuit la personnalité juridique de l’Etat et/ou de l’administration coloniale, de reconnaître officiellement la discrimination ciblée et spécifique dont les Métis ont fait et font toujours l’objet.

La résolution « Métis » est une première étape positive dans le processus nécessaire de reconnaissance des souffrances infligées par le régime colonial belge, et malheureusement perpétuées par la suite.

De manière surabondante, nous demandons, à l’instar de celle qui furent présentées par le Gouvernement et le Parlement flamand le 24 mars 2015 au profit des victimes des adoptions forcées, avec la complicité de l’Eglise catholique entre 1960 et 1980, des excuses publiques.  En effet, les Métis, en plus d’avoir subi des adoptions forcées, ont été enlevés de force, sans le consentement de leurs parents, en d’autres mots, arrachés à leur vie.

Conformément aux paragraphes 92 et suivants de la Déclaration du Durban, nous invitons les autorités ; la mise en œuvre et dans les plus brefs délais, des recherches scientifiques concernant  les cas des Métis, d’impliquer les Métis dans ce travail scientifique et de mémoire, d’en rendre publique les résultats.

Conformément aux paragraphes 117 et suivants de la Déclaration de Durban, nous demandons aux autorités ; la mise en place d’un programme éducatif et des mesures de sensibilisation adéquate concernant l’histoire des Métis. Cette partie de l’histoire de la Belgique, aussi sombre soit elle,  se doit d’être enseignée dans les manuels d’histoires. Dans le but d’éliminer toutes les formes de discrimination et sachant que le dialogue intercommunautaire est la clef, il nous semble idoine que des chapitres sur la colonisation soient revus, et qu’un point spécifique sur les Métis y soit inséré.

a. Réparations

Les demandes ci-dessous ne sont pas exhaustives. Elles ne reprennent que les points considérés les plus urgents. Par voie de conséquence, nous demandons aux autorités la mise en place des moyens nécessaires pour réparer l’ensemble des préjudices subis par les Métis.

i. Archives

Il est indispensable que les Métis ou toute personnes liées directement ou indirectement puissent avoir accès aux archives de l’État (coloniales ou autres), que les autorités donnent des facilités d’accès et, mettent en place les négociations nécessaires avec les entités privées (l’Eglise, les internats privés etc.) pour avoir accès à leurs archives.

De plus, il est primordial que les autorités mettent en place les moyens nécessaires pour permettre aux Métis de mener à bien leurs recherches parentales (paternité et maternité).  

ii. Facilités administratives

Comme cela a été exposé par les autres intervenants, beaucoup de Métis ont vu leur acte de naissance falsifié ou absent et leur nationalité retirée sans raisons valable, certains se retrouvant apatrides.

Considérant les nombreuses conséquences subies par les Métis, concernant leurs libertés fondamentales ; de circuler librement, de pouvoir contracter mariage et de connaitre leurs liens de parentés, nous demandons aux autorités :

  1. La mise en œuvre des démarches nécessaires pour régulariser les vices des actes administratifs :
    En délivrant des actes de naissances conformes et non faussés à ceux qui n’ont pas de tels actes ;
    En accordant des facilités de visa pour les parents de nationalité différente et de facto de noms différents ; 
  2. Le recouvrement de la nationalité pour ceux qui en aurait été déchus sans raison valable
  3. Le recouvrement de leurs nom et prénom originels pour ceux qui le désirent, et ce sans devoir se voir opposer des frais de justice (procédure, greffe, publication etc.) y afférant.

 
iii. Assistance psychologique

Il est primordial qu’une cellule d’assistance psychologique spécialisée soit mise en place à la disposition des Métis et leurs parents. En effet, nombre d’entre eux ont souffert de traitements inhumains imposés pendant leur enfance. En effet, beaucoup furent maltraité physiquement et moralement ou abusé sous les formes les plus odieuses pendant leur enfance. Pour eux, il est difficile de témoigner publiquement, ceux présents étant probablement les plus forts ou les plus chanceux dans leur malheur.

Conclusion

L’histoire de notre pays n’est pas linaire, elle a aussi sa part d’ombre, la colonisation et l’histoire des Métis en fait partie. 

La chance qui est la vôtre, est d’avoir l’opportunité de ne plus être des simples lecteurs de l’histoire et de ces manquements, mais de pouvoir combler ceux-ci. Vous avez la possibilité de réparer les torts, la possibilité d’écrire une histoire plus vraie, une histoire plus juste.

Ce que je vous demande aujourd’hui ; c’est de saisir cette opportunité. La résolution « Métis » est un premier pas pour être du bon côté de l’histoire des Métis, de l’histoire de la Belgique, de la République Démocratique du Congo, du Burundi et du Rwanda, de la vôtre, de la mienne, bref de notre histoire commune à toutes et à tous.

De manière surabondante, je tiens à saluer personnellement les Métis et l’AMB pour la beauté de leur courage, pour la force de leurs convictions et leur quête de justice. Sachez que c’est sans haine aucune, qu’ils demandent la reconnaissance des préjudices subis, ainsi que de pouvoir jouir de leurs droits fondamentaux.

Finalement, les Métis ne sont plus qu’uniquement assis dans le siège de l’injustice, mais se tiennent fièrement debout, ici devant vous. Quand je vois leurs parcours, leurs qualités humaines, malgré les difficultés qu’ils ont rencontrées - pour cela ils feront éternellement partie de la dream team de mon cœur.  
 
Sachez que ma génération continuera à se lever avec eux et à hausser la voie pour leur cause.   Madame la Présidente, Mesdames et Messieurs les Sénateurs, Membres de l’AMB, merci.


(1)

Article 1 : Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. Ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité.

Article 2 :

  1. Chacun peut se prévaloir de tous les droits et de toutes les libertés proclames dans la présente Déclaration, sans distinction aucune, notamment de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d’opinion politique ou de toute autre opinion, d’origine nationale ou sociale, de fortune, de naissance ou de toute autre situation.

  2. De plus, il ne sera fait aucune distinction fondée sur le statut politique, juridique ou international du pays ou du territoire dont une personne est ressortissante, que ce pays ou territoire soit indépendant, sous tutelle, non autonome ou soumis a une limitation quelconque de souveraineté.

Article 6 : Chacun a le droit a la reconnaissance en tous lieux de sa personnalité juridique.

Article 15 :

  1. Tout individu a droit à une nationalité.

  2. Nul ne peut être arbitrairement prive de sa nationalité, ni du droit de changer de nationalité.

La question métisse dans le contexte colonial belge: Une affaire d'Etat

Assumani Budagwa

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Mardi 25 avril 2017
Hémicycle du Sénat

auteur du livre « Noirs-Blancs, Métis : la Belgique et la ségrégation des
Métis du Congo belge et du Ruanda-Urundi 1908-1960 »


Introduction


C’est en tant qu’auteur du livre intitulé « Noirs-Blancs, Métis : la Belgique et la ségrégation des Métis du Congo belge et du Ruanda-Urundi 1908-1960 » que j’ai été invité à donner quelques éléments sur la « Question métisse dans le contexte colonial belge ».
Je vous remercie pour cette invitation.

À la lumière de documents d’archives disponibles et de témoignages, mon livre retrace le contexte de l’émergence de la question « Métis », des discours sociaux qu’elle a suscités, des débats institutionnels qu’elle a alimentés, des politiques et des pratiques philanthropiques qu’elle a produites ainsi que de leurs résultats. Ce livre a comme but d’apporter un éclairage sur un aspect méconnu de la colonisation belge qui, pour certains Métis, a produit des drames humains aux conséquences encore insoupçonnées.

Dès 1986, j’ai cherché à comprendre ce que fut le sort des Métis du Congo belge et du Ruanda-Urundi après que ma cousine Madeleine Apendeki Lusakulira, et d’autres mères de métis, m’ont demandé de rechercher les enfants que, selon leurs dires, les « Blancs » leur avaient arrachés, voire volés. C’est cette urgence de rechercher des enfants métis « supposés abandonnés », acheminés dans des « orphelinats » et, pour certains, précipitamment emmenés en Belgique au début des années soixante du siècle passé qui m’a conduit à m’intéresser au sort des Métis dans le territoires sous domination belge.

D’après mes recherches, il apparaît que la ségrégation des Métis du Congo belge et du Ruanda-Urundi n’a été déterminée ni par le caractère supposé illégitime des unions qui leur ont donné naissance ni par une quelconque notion de bâtardise mais par une « barrière de couleur », une  « color bar » niée mais réelle, qui a caractérisé la politique coloniale belge dans son ensemble.
Elle résulte également de la façon de percevoir les Métis comme un potentiel danger pour les intérêts de la Belgique. La Belgique n’a pas pris le temps de définir une politique cohérente concernant les Métis ni même des mesures d’urgence pour les protéger, comme fit la France en leur octroyant quasi automatiquement la nationalité française par possession d’Etat. comme l’octroi de la nationalité sur le métissage et les Métis. Mue la plupart du temps par la défense de l’honorabilité des pères, elle a pris certaines initiatives concernant les Métis sans se soucier des dégâts éventuels.

Une ségrégation spécifique


La question métisse ou plus précisément la ségrégation ciblée dont les Métis nés sous la domination belge en Afrique (Congo, Rwanda et Burundi) ont fait l’objet, n’est pas un simple épisode de l’histoire coloniale belge et européenne; ce n’est pas non plus un sous-chapitre de la ségrégation dont ont profondément souffert les Noirs. La ségrégation ciblée des Métis du Congo belge et du Ruanda-Urundi est une question centrale de cette colonisation, un enjeu de pouvoir et, de ce fait, elle fut une préoccupation permanente du colonisateur belge. Elle est une composante de la politique coloniale et relève de la responsabilité de l’Etat belge qui a mis en place et entretenu cette ségrégation. Elle a mobilisé des généticiens, des anthropologues, des
juristes, des religieux, des hommes politiques qui ont apporté leur caution à cette discrimination. Elle fut débattue au sein de la Commission Permanente pour la protection des Indigènes, du Conseil Colonial, du Parlement et du Sénat. Elle a forcé l’Etat à mettre sur pied, contre son gré, deux commissions ministérielles sur une question devenue vitale, incontournable.

La ségrégation ciblée des Métis nés sous la domination belge en Afrique est donc spécifique. C’est cette spécificité qui m’a conduit à la qualifier de véritable affaire d’Etat.
La spécificité tient notamment au fait que la Belgique n’avait qu’une seule colonie et en plus peuplée exclusivement de Noirs. Elle repose sur la conviction largement partagée, que j’ai évoqué, selon laquelle le métissage et surtout le Métis constituent une menace au prestige de la race blanche, et un danger potentiel pour la pérennité du système colonial belge.
Comprendre et admettre cette spécificité permet d’apprécier à sa juste valeur la démarche que mènent aujourd’hui les Métis regroupés au sein de diverses associations: Association Métis de Belgique, Association des Métis du Congo, Association des Enfants laissés par les Belges au Congo, Association des Mulâtres du Burundi, terme péjoratif utilisé pendant la colonisation.
Comprendre et admettre cette spécificité permet d’entendre avec courage et humilité les principales revendications avancées par des Métis. Ces revendications ne relèvent pas de caprices d’enfants gâtées, de Métis qui auraient été privilégiés par rapport aux Noirs, privilégiés par rapport aux Blancs qui ont précipitamment quitté le Congo en 1960, comme l’avait fait trente ans avant eux le reporter Tintin sous la charge d’un peuple de buffles fatigués d’être nargués par un jeune homme arrogant et son petit chiot tout aussi arrogant.

La ségrégation des Métis du Congo belge et du Ruanda Urundi a connu des moments forts dont je vais résumer quelques épisodes.

La prise de conscience du métissage et les premières initiatives

Bien que tardivement entrée dans le concert des nations colonisatrices, la Belgique a très rapidement pris conscience de l’existence d’une nouvelle catégorie de population dont elle n’avait pas prévu de place ni même de statut ; la Belgique s’est également rendu compte que loin d’être marginales ou accidentelles, les unions entre Blancs et Noires se multipliaient et que l’arrivée des femmes blanches aux colonies n’en réduisait ni l’ampleur ni même l’attractivité.
Il faut souligner que pendant la période de l’Etat Indépendant du Congo, les unions entre hommes blancs et femmes noires était acceptées, tolérées et même encouragées.
Cependant, la présence d’enfants Métis nés de ces unions, et souvent abandonnés par les géniteurs blancs, constituait déjà une infraction à la moralité et au sens des responsabilités des Blancs et portait un coup au prestige moral du civilisateur.
C’est à partir du Congrès des Races, qui s’est tenu à l’Université de Londres en 1911, que les puissances colonisatrices s’interrogent et se soucient du contact des races et décident d’inscrire la question du métissage dans les échanges au sein des congrès de l’Institut Colonial International et sollicitent les sociétés d’anthropologie pour l’éclaire la nature biologique, génétique, sanitaire, morale, intellectuelle et psychologique du Métis.

Dès 1911, à la demande du Comité Permanent pour la Protection des Indigènes, l’Etat colonial belge est invité à appliquer aux Métis deux décrets aux conséquences graves : le décret du 12 juillet 1890 qui concernait la protection des enfants abandonnés, orphelins, délaissés, trouvés dont la tutelle était déféré à l’Etat et le décret du 4 mars 1892 qui autorisait les associations philanthropiques et religieuses à recueillir, dans les colonies agricoles et professionnelles qu’elles dirigeaient, les enfants indigènes dont la loi avait déféré la tutelle à l’Etat.
L’application de ces deux décrets légalisa l’acheminement et le confinement des Métis dans des asiles philanthropiques, des orphelinats et autres lieux similaires. Dès leur plus jeune âge, -quatre ans, parfois moins-, les métis furent arrachés à leur mère et à leur village natal par le recours à la force, aux menaces ou à la persuasion, sans qu’ils ne répondent aux critères pourtant bien définis d’enfants abandonnés, délaissés, orphelins ou trouvés. Un véritable rapt fut organisé, couvert par le poids de l’Etat conjugué à la toute-puissance de l’Eglise catholique et des missions protestantes ; cette menace poussa parfois certaines mères à cacher leurs enfants, notamment en les enduisant de suie pour les garder près d’elles.

L’ébauche d’une doctrine coloniale belge concernant les Métis

Parallèlement à sa participation aux sessions de l’Institut Colonial International, la Belgique élabore sa ligne de conduite à travers des publications de personnalités influentes ; la ligne de conduite que suivra la Belgique est énoncée par Joseph Pholien futur premier Ministre. Dès
1913, il écrit :
«Les pouvoirs compétents paraissent plutôt avoir obéi pendant longtemps à ce sentiment qui fait considérer comme secondaire un mal que l’on veut ignorer. Mais la question des métis a cependant fini par s’imposer dans les possessions de toutes les grandes nations et nous verrons qu’elle pourrait mettre parfois en péril l’avenir même des entreprises coloniales ».

« Par la nature même des choses, les métis bénéficient des qualités et subissent les tares des deux races qu’ils représentent. Influencés par l’élément blanc, ils auront pour la race de couleur un réel mépris ; ils auront de la haine pour la race blanche, au sein de laquelle ils ne seront jamais admis sur pied d’égalité. Dès lors, dédaignant leur mère et détestant leur père, ils semblent justifier la boutade : « Dieu a fait l’homme blanc et l’homme noir, le diable a fait le métis » ». Sauf exception, les métis sont donc des éléments peu moraux et dès lors, ils sont à craindre. Les métis constituent donc un élément qui peut devenir très vite dangereux et il importe de chercher à en diminuer le nombre. Signalons en passant qu’il conviendrait de persuader les coloniaux, dans la mesure du possible, du respect de la race à laquelle ils appartiennent.

Il faut donc reconnaître qu’aucun remède n’est assez radical pour éviter la création de métis. Les Gouvernements ne peuvent dès lors pas les ignorer et, puisqu’ils représentent des inconvénients et des dangers, il faut chercher à atténuer ceux-ci par des mesures législatives et administratives. Mais quelle doit être la politique à adopter ? Avant tout, s’inspirer, non de principes abstraits, mais d’idées pratiques et
réalistes qui soient à la fois en communion avec l’humanité et avec l’intérêt colonial».

L’offensive contre le métissage et sa caution


La position de Joseph Pholien fut vite relayé par une véritable offensive contre les unions entre Blancs et Noires appréhendées uniquement sous la forme du concubinage et non pas sous la forme d’union consacrée par la coutume du peuple hôte. Le Père Arthur Vermeersch écrit en 1914:

« À prendre une concubine noire, on subit une défaite. Quelques prétextes sont ajoutés pour colorer la capitulation. Pour la colorer, mais de quelles couleurs ! N’est-ce pas une honte d’accepter la prévarication pour des avantages temporels ? On ne transige pas avec le devoir. L’honneur chrétien est un honneur militaire : il nous dit de mourir, plutôt que nous rendre à l’ennemi ».
 
Ce que le Père Arthur ne dit pas, c’est que l’ennemi, la concubine noire, est le plus souvent une jeune fille pubère, à peine âgée de 12 à 13 ans. Une caution scientifique belge est aussi requise. Elle sera apportée par Pierre Nolf, professeur d’Université et ministre. Nolf écrit en 1930:
«Un mulâtre est le dépositaire de caractères blancs et de caractères noirs juxtaposés mais entre lesquels aucune fusion ne s’opère. À aucun moment de son existence individuelle, les chromosomes paternels ne contractent avec les maternels d’autres rapports que ceux de voisinage ».
« Ma conviction intime, puisée à l’étude des lois de l’hérédité, est qu’il importe de décourager, voire d’empêcher par tous les moyens utilisables, les mariages entre Blancs et Noirs au Congo ou en ce pays. Ces unions ne sont généralement pas heureuses pour ceux qui les contractent ; elles produisent des métis qui, n’étant d’aucune des deux races, forment un élément social instable et mécontent. Elles sont une grave menace pour l’avenir de la race blanche, qui ne restera capable de remplir la mission civilisatrice qu’à la condition de préserver la qualité de son sang».

Dès 1932 fut créée l’oeuvre de Protection des Mulâtres dont le but inavoué était de se protéger de la grave menace pour l’avenir de la race blanche. Cette oeuvre organisera un congrès international en marge de l’exposition universelle de Bruxelles de 1935 dont le titre est sans équivoque : « Congrès pour l’étude des problèmes résultant du mélange des races.
En ouverture du Congrès , Paul Crockaert, ancien ministre des colonies et président de l’oeuvre de Protection des Mulâtres, reprit les arguments avancés précédemment par les scientifiques, les juristes et les religieux, il rappela d’abord que « sans doute aucune race n’est probablement pure » mais souligna néanmoins que les différences de couleur de la peau, des cheveux s’étendaient « aux aptitudes intellectuelles et aux qualités morales » ; le peuple civilisateur devait être bon et généreux envers le peuple civilisé mais la sagesse et la vertu exigeaient de « se garder du métissage, le décourager, voire l’empêcher par tous les moyens efficaces ».

On atteindrait ainsi trois objectifs hautement désirables: éviter aux « métis de pâtir d’une composition indésirable du sang, garantir l’avenir de la race blanche en Afrique et le respect de la race noire ».
Mais de ce Congrès on retiendra essentiellement les trois propositions avancées et sur lesquelles le gouvernement belge devrait se prononcer : la transplantation des Métis en Europe dans les pays du père, le refoulement en milieu indigène, la formation d’une caste à part au sein des colonies.

En réponse à ce problème, et pour éviter tout débordement, l’Etat Colonial belge décida de prendre les choses en main et de soustraire le débat du domaine public. Les services du Ministère des Colonies rejetèrent les trois propositions et élaborèrent une ligne politique en neuf points sur la question des Métis. Ces neufs points furent remis à la commission ministérielle pour l’étude du problème des mulâtre qui se réunit de 1938 à 1939 sans aboutir à une solution satisfaisante pour l’Etat ni pour les Métis. Il s’agit des points suivants :

  1.  que le Gouvernement ne favorise d’aucune manière l’envoi des mulâtres en Belgique, ce qui implique un avis défavorable à l’octroi de l’indemnité familiale ;
  2. qu’il s’intéresse aux mulâtres abandonnés en Belgique soit en soutenant l’oeuvre qui s’occupe d’eux, soit de toute autre manière ;
  3. que, par ses divers services d’Afrique ou certaines oeuvres qui s’y sont créées, service médical, assistance médicale, consultations de nourrissons, goutte de lait, etc., il assure aux enfants mulâtres tous les soins qu’ils réclament dans les mêmes conditions et sur le même pied que les Noirs, mais avec une sollicitude plus vigilante et plus étendue ;
  4. qu’une existence matérielle décente soit assurée aux jeunes mulâtres : alimentation, vêtements, etc. ce qui peut se réaliser par le placement dans des établissements d’instruction ;
  5. que l’on fasse prévaloir l’intérêt des mulâtres sur les droits de la mère de telle sorte que la seule mauvaise volonté de celle-ci ne puisse mettre obstacle aux mesures que l’intérêt de l’enfant commande ;
  6. que l’on recherche le moyen de faire participer le plus possible le père d’un mulâtre à ces diverses mesures par le versement d’une pension alimentaire ; (cf. Art. 340 Code Civil Belge)
  7. que le Gouvernement s’efforce de procurer une situation aux mulâtres adultes ;
  8. qu’il s’intéresse aux oeuvres qu’ils fondent dans la Colonie : mutualités, cercles, etc.… pour en garder le contrôle et la surveillance ;
  9. qu’il s’intéresse aux oeuvres qui, au Congo, s’occupent du problème des mulâtres et veille que l’action de ces organismes s’exerce dans le sens du programme qu’il auraadopté. Le problème ne revêtant pas seulement un aspect de bienfaisance mais un aspect social et politique, le Gouvernement, dont le concours est d’ailleurs constamment sollicité, a non seulement le droit mais le devoir d’orienter l’activité de ces organismes dans le sens indiqué ».

En août 1945, un nouveau ministre des colonies entra en fonction. Issu du Parti Libéral, Robert Godding fut saisi par l’importance de la question des Métis et décida de réunir une nouvelle commission chargée d’étudier le problème « sous tous ses aspects », afin d’aboutir à des solutions concrètes, notamment sur trois points : le statut, l’éducation et les carrières des métis.
L’allocution d’ouverture des travaux de la commission fut remarquable à plusieurs égards :
pour la première fois, un ministre prenait en considération une lettre qu’un métis lui avait adressée pour lui demander de s’inspirer de la France qui, dès 1936, avait accordé aux métis des colonies d’Afrique noire la nationalité française indépendamment de leur reconnaissance ou non par leurs pères. Le ministre n’a pas caché son inquiétude sur le renforcement des préjugés raciaux au Congo. De manière très précise, il attend que la Commission examine des questions comme celle du statut et même, de la nationalité. C’est sans détour aussi qu’il invite à examiner la possibilité d’application de la loi sur la reconnaissance de paternité et l’action alimentaire.

Conscient que le nombre de métis reconnus est minime par rapport à celui des non-reconnus, il ne fait pas d’emblée la distinction entre ces deux catégories. Au niveau de l’éducation, il indique déjà qu’il faudra songer à admettre les métis dans les athénées récemment créés au Congo (à son initiative) pour les enfants européens blancs. Il soulève aussi les questions des carrières, autant de problèmes que les métis espéraient voir pris en compte.
La phrase clé est celle du ministre demandant de tenir réellement compte de l’intérêt des métis. C’est un total revirement par rapport à tous ses prédécesseurs qui accordaient la priorité à l’intérêt de la colonie et au maintien de la suprématie de la race blanche. Néanmoins, l’analyse su ministre n’était sans doute pas exempte d’arrière- pensées, à savoir le risque que les métis aigris et même subversifs, et qu’il était donc nécessaire de s’assurer leur attachement sincère en vue de collaborer à l’oeuvre coloniale.

La Commission travailla de 1947 à 1952 sous la direction d’Antoine Sohier mais le remplacement du ministre par le catholique Pierre Wigny, peu après la mise en place de la Commission, réorienta complètement les travaux.
Sous prétexte d’éviter toute discrimination, le président de la commission conduisit la question métisse dans une impasse, à la grande déception de l’Association des Métis de Léopoldville dont toutes les revendications, soumises à la commission, furent rejetées par le ministre des colonies. La commission fusionna avec une autre, présidée par le même Antoine Sohier, et fut chargée de la carte de mérite civique où les critères de civilisation allaient déterminer le statut des individus.

L’admission des métis reconnus et éduqués à l’européenne dans les établissements jusque là réservés aux enfants blancs sera accordée en 1948. Elle sera étendue en 1952, aux métis non reconnus et aux enfants des Noirs porteurs de la carte de mérite civique.
La question métisse fut mise au placard et cessa d’être une préoccupation pour l’Etat belge qui ne réalisa même que les Métis étaient en fait des êtres vulnérables et ne constituaient ni un danger pour la pérennité du système colonial, ni une menace au prestige de sa race.

Conclusion

En guise de conclusion, j’aimerais insister sur le caractère spécifique de la ségrégation dont les Métis du Congo belge et du Ruanda-Urundi ont été l’objet, un fait irréfutable aux conséquences parfois dramatiques, un fait qui n’occulte pas la ségrégation dont les Noirs ont soufferts et qui ne masque pas la souffrance des mères africaines.
Comprendre et admettre cette spécificité permet de prendre en considération la résilience, les cris de révoltes, les chagrins, les besoins d’aide pour se reconstruire, les recherches tenaces du géniteur blanc, l’obstination à retrouver son identité véritable, le souhait et le droit à la réparation sous diverses formes, l’espoir des mères encore en vie, la recherche du frère ou de la soeur dont on a été brutalement séparés, le désir de récupérer la nationalité du père ou de la mère, d’être reconnu dans son identité ou ses identités, la souffrance, les traumatismes transgénérationnelles, la dignité et les droits des Métis nés pendant le régime colonial belge.
Et si vous le permettez, j’aimerais rendre hommage aux hommes Européens dont on parle peu et qui, faisant fi de la morale coloniale ont vécu en couple avec leur femmes africaines qu’ils aimaient et ont assumé leur paternité dans un univers juridique confus et en courant le risque d’être exclus des emplois, des promotions ou simplement de la communauté blanche.
Comme le député bruxellois Serge de Patoul j’aimerais également en ce lieu, rendre hommage aux héros invisibles de cette page de notre histoire, qu'on ne connaît pas, mais qui ont agi pour réduire la conséquence des traumatismes des métis du Congo belge et du Ruanda-Urundi.

La recherche et les sources

 

Intro

De 2010 à 2012 j’ai travaillé pour le CEGESOMA afin d’entamer une recherche sur la question du déplacement des enfants metis de l’institution de Save vers la Belgique au moment de l’indépendance du Ruanda-Urundi. L’objectif général de cette recherche était de reconstruire les conditions dans lesquelles ce déplacement s’est produit: combien d’enfants étaient déplacés, pourquoi, par qui et quand ? Dans le cadre de cette recherche j’ai pu identifier et localiser les sources concernant les enfants de Save auprès des différents centres d’archives. Je compte donc aujourd’hui vous parler de ces archives : quien étaient les producteurs, où sont elles actuellement conservées et quelles en sont les modalités d’accès? Mais afin de contextualiser cette intervention, je souhaiterais commencer par une brève introduction dans l’histoire des enfants de Save…

Save

En 1926 la congrégation des Soeurs Blanches d’Afrique est désignée par l’Etat belge pour assurer la direction de l’institut de Save chargé de recueillir les enfants abandonnées du territoire sous mandat du Ruanda-Urundi. Pendant plusieurs décennies des centaines d’enfants africains et metis seront placés à Save. Les enfants metis n’étaient pas tous à proprement parler ‘abandonnés’, c’est-à-dire que dans les cas où le père Européen ne reconnaissait pas son enfant et ne subvenait pas à son éducation, l’Etat colonial considérait l’enfant comme abandonné et ce même si la maman Africaine s’occupait bien de l’enfant.  Dans de tels cas, les agents coloniaux étaient poussés à convaincre les mères de placer leurs enfant sous la tutelle de l’Etat et de confier l’enfant à une institution pour enfant metis dans laquelle ils recevraient une éducation “convenable”.

Certaines mères étaient satisfaites de cette solution : elles ne savaient pas que faire d’un enfant metis qui n’avait pas de place dans le lignage familial, d’autres étaient soulagées d’avoir une bouche en moins à nourrir. La plupart des mères par contre se sont senties obligées de laisser partir leur enfant dans un internat qui était souvent très loin, et duquel l’enfant n’avait pas le droit de retourner à la maison, même pendant les vacances scolaires. Ces mamans n’avaient malheureusement pas grand-chose à dire dans un monde colonial dominé par des hommes blancs.

Dans les années 1950, la direction de l’institution d’enfants metis de Save tombe dans les mains de Sœur Lutgardis qui se retrouve responsable pour une centaine d’enfants abandonnés de fait, c’est-à-dire : abandonnés par leur père Européen, isolés à Save, éloignés physiquement et souvent aussi émotionnellement de leurs mères et de leurs familles Africaines. Au moment où l’on commence à parler de l'Indépendance, Sœur Lutgardis craint pour le futur de ces enfants. En effet, l’existence de l’institution dépendait des subventions accordées par l’état, or sans ce soutien l’institution ne pourrait compter que sur ces propres moyens financiers, insuffisants pour entretenir autant d’enfants.

C’est pour cette raison et parce qu’elle craint que les enfants metis n’ont pas une place dans la société africain qu’à partir de 1956 Soeur Lutgardis entame des démarches auprès des autorités coloniales, des pères Européens et des autorités traditionnelles Rwandaises pour planifier l’évacuation des enfants vers la Belgique. En 1958, elle reçoit une aide inattendue: le Père Delooz, le représentant du Ruandafonds des classes moyennes flamandes (CMBV) qui, lors d’un détour pendant un voyage d’étude au Ruanda-Urundi, était passé par l’institution de Save, se fait le porte-voix de Soeur Lutgardis en Belgique et plaide dans la presse pour son initiative d’évacuation. Plus tard, le Père Delooz et le Ruandafonds seront rejoint par l’Association pour la protection des mulâtres (APPM) et l’œuvre d’adoption de Thérèse Wante, qui soutiendront eux aussi l’initiative de Soeur Lutgardis et ils procéderont alors à l’évacuation d’une dizaine d’enfants. Ce n’est qu’après ces premiers transferts que les autorités coloniales apporteront leur coopération au moyen d’une aide financière pour l'évacuation par avion des enfants. Avant-cela ils ne se préoccupent que de la délivrance des passeports de voyage et de la prise de contact avec les mamans pour que celles-ci donnent leur accord pour le transfert de leur enfant vers la Belgique (cf. document de Charles Geradin).

Une fois en Belgique, les associations charitables que nous avons citées prennent en charge l’accueil des enfants. Ils les placent dans des familles d'accueil ou dans des internats et institutions. Les contacts avec les mamans, bien qu’il ne soient pas strictement interdits, restent limités au minimum et on décourage les enfants à entretenir des liens avec leur famille africaine. Beaucoup d’enfants se croient effectivement abandonnés et les familles d'accueil sont bien souvent étonnées d’apprendre l’existence d’une maman biologique souhaitant des nouvelles d’un enfant que eux croyait abandonné. Du coup, beaucoup d’enfant metis, aujourd’hui des adultes, on perdu tout trace de leur famille biologique.

Pourtant, il est possible de retrouver des informations concernant sa famille dans les archives suivants.

sources

Archives gouvernementales

Un premier source très importante concernant les enfants metis de Save se trouve dans les archives dites Africaines, notamment les archives du gouvernement colonial actuellement conservées aux archives du Ministère des Affaires Étrangères et en cours de transfert vers les archives générale du Royaume.  Comme Assumani Budagwa l’a déjà expliqué dans son intervention, l'État colonial menait une politique spécifique concernant les personnes metis et il est possible d’en retrouver la trace au sein de ses archives. Le fonds comporte deux séries qui nous intéressent particulièrement: d’une part, les dossiers généraux concernant cette politique relative aux metis; d’autre part, les dossiers individuels concernant les personnes metis. La consultation des ces archives est soumise à la loi sur les archives publiques et fixe le délai de consultation à 30 ans. Néanmoins cette consultation est limitée en pratique par l’application de la loi sur la protection de la vie privée du 8 décembre 1992 et par l’absence d’inventaires ou d’autres instruments de recherche.

En tant que chercheuse, j’ai pu consulter les quelques dossiers généraux déjà accessibles. ll existe par ailleurs encore une grande partie non-classée de ce fonds concernant la politique coloniale et ses implications pratiques à l’égard des personnesmetis. L’absence de classement et d’inventorisation, et le fait que certaines parties du fonds soient “classifiées” rendent impossible son utilisation par les chercheurs. Cela veut dire que nous avonsactuellement une image partielle de la situation dans les territoires coloniaux.

Les dossiers individuels sont accessibles pour les gens directement impliqués mais l'accès est restreint pour des chercheurs extérieurs pour raisons de protection de la vie privée. Pour les chercheurs le seul moyen de consulter ces archives est de demander une autorisation spéciale auprès de la Commission pour la Protection de la Vie Privée, comme ce fut le cas dans le cadre du projet “enfants de Save” initiée par le CEGESOMA.  Ils s’agit d’une série qui rassemble tous les dossiers des enfants metis nés dans le territoire sous mandat Ruanda-Urundi. Cette autorisation m’aura donc permis d’établir une liste de tous les metis recensés par l’Etat au Ruanda-Urundi. Cette liste, que j’ai communiqué aux archivistes des Archives africaines, peut faire office de point de départ pour des personnes à la recherche de leur histoire personnelle. Les dossiers individuels contiennent de l’information concernant les parents de l’enfant, indiquent si oui ou non le père présumé avait légalement reconnu son enfant, si l’enfant était abandonné ou s’il était élevé par les parents, etc.. Dans certains dossiers se retrouvent aussi des document de ‘recherche de paternité’ car l'État essayait de créer un lien légal entre les pères présumés et les enfants. Les enfants pour lesquels l’Etat ne réussissait pas à établir ce lien, ce qui forme la grande majorité des cas, étaient considérées comme ‘indigènes’. Ceux qui étaient reconnus par leur père Européen obtenaient le même statut que celui-ci.

Les dossiers sont, grâce aux listes de noms faites pendant le projet de recherche du CEGESOMA, accessibles pour les personnes nées au Ruanda-Urundi, et parfois dans la région Kivu. J’ai appris très récemment que des dossiers similaires existent concernant les enfants metis du Congo Belge. Malheureusement, ces dossiers sont dispersé parmi différents fonds régionauxou dossiers thématiques.  Actuellement, il n’existe pas de liste des noms, ni des inventaire qui rendent ces dossiers accessibles, ce qui implique que les metis nés au Congo n’ont pour le moment aucune possibilité d’avoir accès à leurs dossiers.

Archives ‘privées’

A côté des archives gouvernementales, il y a aussi des archives créées par les différentes organisations privées qui étaient impliquées dans l’évacuation et ensuite responsables pour le placement et le suivi des enfant une fois en Belgique. Les organisations le plus notables de ce point de vue sont L’Association Pour la Protection des Mulâtres, le Ruandafonds du Christelijke Middenstand en Burgervrouwen, les Semeurs de Joie du Père Delooz et l’Oeuvre d’adoption de Thérèse Wante.

Etant donné qu’il s’agit d’institutions privées et non publiques,  la décision de donner accès aux chercheurs à leurs archives leur appartient. Par contre, toutes ces organisations ont donné accès aux personnes directement concernées afin qu’ils puissent consulter leurs dossiers individuels.

Le Musée Royal d’Afrique Centrale (MRAC) conserve les archives de l’asbl APPM, une association dont la vocation était de procurer de l’aide aux metis qui venaient en Belgique. Il s’agissait d’une asbl formée par des anciens coloniaux, favorables à l’arrivée des personnes metis en Belgique. Cette organisation a constitué une dossier individuel pour chaque personne qui la contactait et souhaitait bénéficier d’aide financière, juridique ou d’autres formes de soutien. Les archives de l’APPM ne se limitent donc pas aux metis du Ruanda-Urundi ou de Save mais contiennent aussi des dossiers concernant les personnes metis du Congo et des autres pays d’Afrique. Pour les enfants de Save, il s’agit principalement de documents concernant la période après 1960. Ces dossiers sont accessibles aux personnes directement impliquées. Le contenu des dossiers individuels traite notamment du placement dans les familles d'accueil, des aides financières accordées, parfois des contacts avec la famille en Afrique, etc.

Le KADOC conserve les archives du Ruandafonds, une organisation né dans le giron du CMBV (Christelijke Middenstands en Burgervrouwen), aujourd’hui connue sous le nom de Markant. A l’origine le Ruandafonds a été créé pour subventionner des séjours d’éducation pour les jeunes Africaines en Belgique. Ce fonds comporte une série de dossiers individuels qui contiennent également des informations concernant le placement dans les familles d’accueil, les contacts entre le Ruandafonds et le APPM, etc. Ces dossiers sont accessibles aux personnes directement impliquées mais ne le sont pas pour les chercheurs pour des raisons de respect de la vie privée.

Après avoir quitté le Ruandafonds, le Père Delooz a fondé une asbl intitulé les Semeurs de Joie. Il s’agit d’une organisation d’adoption qui s’est surtout préoccupée des adoptions d’enfants venus d’Inde. Soeur Lutgardis, l’ancienne directrice de Save, a travaillé pour cette organisation après son retour d’Afrique. Pour cette raison, les archives des Semeurs de Joie contiennent les archives concernant l’institution de Save. Ces archives ont désormais été intégralement versées au service Adoption de Kind en Gezin ou elles sont consultables par les personnes directement impliquées. Ces archives se composent de dossiers individuels mais aussi d’un fonds produit par l’institution de Save, recelant des informations concernant les contacts de l’institution avec les autorités coloniales et avec les pères et les mères naturels des enfants, concernant les programmes de cours de l’institutions, concernant le déplacement vers la Belgique des enfants, et plus généralement concernant l’histoire et le fonctionnement de “l’institut pour enfants mulâtres de Save”.

La dernière organisation impliquée est l’Oeuvre d’Adoption de Thérèse Wante. Malheureusement cette organisation n’a pas conservé les dossiers concernant les enfants de Save. Cependant des personnes qui ont été placées par l’Oeuvre d’adoption peuvent contacter l’organisation pour obtenir des informations supplémentaires, lorsqu’elles existent.

Depuis l’année passée il existe une coöperation entre ces services d’archives et les services d’adoption de Kind en Gezin du côté Flamand et le service de la Direction de l’Adoption pour la Communauté Wallonie-Bruxelles. Chaque personne déplacée depuis Save ou le Ruanda-Urundi qui est à la recherche de ses archives personnelles peut donc contacter l’un de ces deux services selon son rôle linguistique pour y formuler une demande de consultation des archives qui la concerne.  Ensuite, le service prendra contact avec les différents services d’archives et rassemblera tous les dossiers, puis invitera la personne à consulter l’ensemble des dossiers à son nom. Du côté Flamand, ce service est accompagné par un service de soutien psychologique pour les gens qui le souhaitent. Ce service n’est actuellement pas encore disponible du côté francophone.

La pièce du puzzle qui manque encore concernant les enfants de Save, c’est celle des archives des Soeurs Blanches, qui sont conservées à Rome. Jusqu’à présent plusieurs chercheurs ont essayé d’y accéder sans succès et je passe la parole à Ginette Vagenheim pour parler des démarches qu’elles a entreprise en ce sens.

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Met dank aan het CEGESOMA

Met dank aan het CEGESOMA

UNE AFFAIRE D'ETAT

UNE AFFAIRE D'ETAT.

 

La question Metis ou plus précisément la ségrégation des Metis qui fait l’objet de ce Jeudi de l’Hémicycle fut hier, une véritable affaire d’Etat. Je la qualifie d’affaire d’état pour les raisons suivantes :

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  • L’état colonial belge a considéré une partie de sa population notamment les « Mulâtres » comme représentant un danger, une menace au prestige racial du colonisateur blancetà la pérennité du régime colonial et des intérêts vitaux qui y était associés.
  • L’état s’est investi pour soustraire le débat du domaine public et donner la primauté aux aspects politiques et ce au mépris du droit et de la dignité des Metis.
  • L’état a tout mis en œuvre pour soumettre, contrôler les Metis et les associations philanthropiques ou mutuelles d’entraide des Metis en vue de prévenir et d’anéantir définitivementla menace que représentait à leurs yeux cette population.

Dans cette perspective, des initiatives ont été élaborées, mises en œuvre ou abandonnées, dans le seul but, et j’insiste, dans le seul but de faire en sorte que la menace supposée, le danger postulé, que pourraient constituer les Metis,  ne puissent mettre en péril l’honneur et le profit du colonisateur et ce, jusqu’à la veille des indépendances du Congo, du Rwanda et du Burundi.

La plupart de ces initiatives ont souvent conduit à des impasses et même à des souffrances.

Parmi ces initiatives, la plus malheureuse fut le retrait d’enfants en bas âge à leur mère pour les confier à des institutions chargées de les éduquer et de les former afin d’en faire une population utile à la colonie ; ces institutions, souvent éloignées du lieu de naissance, concrétisaient la rupture avec le milieu d’origine, un profond sentiment d’abandon et d’injustice, une perte totale d’identité et de repère. Cette soustraction à leur foyer n’était autre qu’un rapt déguisé et pour préserver l’honneur des géniteurs qui parfois conduisaient leurs enfants dans ces orphelinats, leurs noms et prénoms étaient modifiés.

Ces initiatives ont eu pour résultatla ségrégation des Metis avec les conséquences de toutes sortes que certains témoignages de Metis, de leurs Mamans africaines, de certains de leurs Papas blancs, de leurs éducateurs révèlent encore aujourd’hui.

  1.  La doctrine coloniale belge sur le métissage et les Metis

 a.       La doctrine ou ligne de conduite

Pour asseoir, justifierou banaliser la ségrégation des Metis, l’état colonial s’est appuyé sur une ligne de conduite dont il est intéressant de comprendre les origines et l’autorité qu’elle a reçue de diverses personnalités.

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J’attribue à Joseph Pholien la paternité de la doctrine coloniale belge sur le métissage et les Métis. Dès 1913, ce juriste qui deviendra plus tard Premier Ministre écrivait :

« Par la nature même des choses, les métis bénéficient des qualités et subissent les tares des deux races qu’ils représentent. Influencés par l’élément blanc, ils auront pour la race de couleur un réel mépris ; ils auront de la haine pour la race blanche, au sein de laquelle ils ne seront jamais admis sur pied d’égalité. Dès lors, dédaignant leur mère et détestant leur père, ils semblent justifier la boutade : « Dieu a fait l’homme blanc et l’homme noir, le diable a fait le métis ». Sauf exception, les métis sont donc des éléments peu moraux et dès lors, ils sont à craindre. Les métis constituent donc un élément qui peut devenir très vite dangereux et il importe de chercher à en diminuer le nombre. Il faut donc reconnaître qu’aucun remède n’est assez radical pour éviter la création de métis. Les Gouvernements ne peuvent dès lors pas les ignorer et, puisqu’ils représentent des inconvénients et des dangers, il faut chercher à atténuer ceux-ci par des mesures législatives et administratives. Mais quelle doit être la politique à adopter ? Avant tout, s’inspirer, non de principes abstraits, mais d’idées pratiques et réalistes qui soient à la fois en communion avec l’humanité et avec l’intérêt colonial.»

 b.      Les cautions à la doctrine

 Plusieurs personnalités belges ont cautionné  par leur autorité morale, scientifique, politique ou religieusela ségrégation des Metis et le combat contre le métissage.

En 1914 le Jésuite Arthur Vermeerschlançait l’offensive contre le métissage en ces termes :

« A prendre une concubine noire, on subit une défaite. Quelques prétextes sont ajoutés pour colorer la capitulation. Pour la colorer, mais de quelles couleurs ! N’est-ce pas une honte d’accepter la prévarication pour des avantages temporels ? On ne transige pas avec le devoir. L’honneur chrétien est un honneur militaire : il nous dit de mourir, plutôt que nous rendre à l’ennemi. Et à ce moment s’évoque à mon regard la mission coloniale : mission de conquête, s’il en fut ; mission de conquête sur la matière et sur la sauvagerie. Elle réclame toute notre force, notre vigueur. Confiée à des vaincus, pareille mission est-elle en de bonnes mains ? »

 « Nous affirmons qu’une attitude plus ferme et plus résolue s’impose à nous vis-à-vis de l’immoralité, et qu’on ne pourrait mieux servir la colonie qu’en travaillant à son assainissement moral. Prenons garde que notre faiblesse et notre excessive indulgence ne nous enlèvent à la fois le profit et l’honneur.»

En 1930 le Professeur Pierre Nolfapporte sa caution scientifique :

«Un mulâtre est le dépositaire de caractères blancs et de caractères noirs juxtaposés mais entre lesquels aucune fusion ne s’opère. À aucun moment de son existence individuelle, les chromosomes paternels ne contractent avec les maternels d’autres rapports que ceux de voisinage »…

« Ma conviction intime, puisée à l’étude des lois de l’hérédité, est qu’il importe de décourager, voire d’empêcher par tous les moyens utilisables, les mariages entre Blancs et Noirs au Congo ou en ce pays. Ces unions ne sont généralement pas heureuses pour ceux qui les contractent ; elles produisent des métis qui, n’étant d’aucune des deux races, forment un élément social instable et mécontent. Elles sont une grave menace pour l’avenir de la race blanche, qui ne restera capable de remplir la mission civilisatrice qu’à la condition de préserver la qualité de son sang. »

En 1935, Paul Crockaert ancien Ministre des Colonies et président de l’Oeuvre de Protection des Mulâtres, ouvre le Congrès sur le contact des races à Bruxelles (1935) en ces termes :

« Le peuple civilisateur doit être plein de bonté et de générosité pour le peuple civilisé mais cette bonté et cette générosité ne sauraient être efficaces si elles ne s’accompagnent pas de sagesse et de vertu. La sagesse dit qu’il échet ? de se garder du métissage, qu’il faut le décourager, voire l’empêcher par tous les moyens efficaces . La vertu enseigne qu’il y a lieu d’éviter la tentation d’unions mal assorties, parce que leurs descendants pâtiront d’une composition indésirable du sang et d’un mélange non moins indésirable des caractères ethniques. L’avenir de la race blanche en Afrique et le respect de la race noire sont à ce prix. »

Lors du même Congrès, Robert Ketels, au nom du racisme pan-européen affirme ceci :

 « Pour le Racisme, le mulâtre est un monstre et tout ce qui contribue à le produire est une monstruosité, non seulement la conjoncture, mais surtout l’idéologie ambiante, complice ou cause directe. Le métissage est pour la race une cause de régression et de désagrégation.

Et pour les futurs cadres coloniaux formés à Anvers, le Pr Habig enseigne en 1948:

« Biologiquement le mulâtre est un africain. C'est-à-dire qu'il y a en lui quelques caractères irréversibles nés de pays chauds. Selon la loi qui veut que l'on peut "cuire" et non point "décuire", le mulâtre trouve son berceau naturel et les éléments de sa culture sur le sol africain.

Socialement, l'expérience démontre que le mulâtre peut être d'emblée assimilé par la culture européenne. Son émotivité peut être très délicate, il possède une grande capacité de souffrance morale due à l'hérédité du système nerveux blanc. Il est en général plus dynamique que le Noir.

Intellectuellement, il est intermédiaire entre le Blanc et le Noir. Son type d'intelligence est un peu plus affectif que le nôtre, il est un peu moins abstrait, mais néanmoins il est capable de comprendre les impératifs abstraits. On voit que le corps du mulâtre devrait rester en Afrique tandis que son cerveau devrait être cultivé en Europe.

2.      L’état colonial et la prise en main de la question «  Métis-Mulâtres »

La prise en main de la question « Métis-Mulâtres » par l’état colonial belge se perçoit mieux à travers les débats au sein d’instances officielles et à travers les vœux ou propositions qui en sont issus.

a.       Au sein du Comité Permanents pour la Protection des Indigènes :

Dans la problématique concernant le métissage, il faut retenirdeux décrets importants de L’Etat Indépendant du Congo: celui du 12 juillet 1890 concernant la protection des enfants abandonnés et celui du 4 mars 1892 par lequel l’Etat autorisait les associations philanthropiques et religieuses à recueillir, dans les colonies agricoles et professionnelles qu’elles dirigeaient, les enfants indigènes dont la loi avait déféré la tutelle à l’Etat.

Ces décrets furent appliqués aux enfants metis à la demande du CPPI lors de sa réunion du 15 mai 1911. L’application abusive de ces deux décrets marqua la légalisation de l’acheminement et du confinement des Metis dans des centres tenus par ces associations. Ces décrets sont à la base du sort de nombreux enfants metis et expliquent comment et pourquoi certains se sont retrouvés, dès leur jeune âge, loin de leur mère et de leur village natal. Elles expliquent aussi pourquoi la force fut utilisée par endroit pour arracher les enfants à leurs familles.

Dans sa session de 1938 le CPPI préconisait :

 1° Que le Gouvernement adopte définitivement à l’égard des mulâtres une politique analogue à la politique d’assimilation qu’il pratique à l’égard des indigènes ; qu’il réprouve toute tendance, faussement généreuse, à instituer une caste et un régime distinct pour les mulâtres ; qu’il favorise leur formation et leur développement dans le cadre des institutions et de la société indigène évoluée ;

2° Que le Gouvernement invite les organismes créés en Belgique en faveur des mulâtres à limiter leur activité aux mulâtres qui se trouvent en Belgique ; qu’au surplus ces organismes se rallient aux principes adoptés par la Commission et qu’ils renoncent à recommander toute politique de caste, contraire à l’intérêt bien compris de leurs protégés ;

3° Que le Gouvernement local arrive à la suppression des groupements, sociétés ou mutuelles constituées dans la Colonie exclusivement  pour ou par les mulâtres et ne les autorise plus à l’avenir »

b.      Congrès International pour l’étude résultants du mélange des races.

Plusieurs propositions et vœux furent formulés lors du Congrès International pour l’étude des problèmes résultants du mélange des races tenu à Bruxelles en octobre 1935. Ce Congrès constitue un tournant pour deux raisons majeures. C’est à cette occasion que furent émis les trois choix sur le sort des Metis (Henri Labouret):

  • Accueillir le sang mêlé dans la collectivité européenne.
  • Le rejeter au contraire dans la communauté indigène.
  • Constituer avec ses pareils un groupe distinct, ayant ses intérêts particuliers et assurantla liaison entre les représentants de la colonisation blanche et la population locale.

C’est au cours de ce Congrès que fut avancé pour la première fois la proposition, qui allait dans le sens du premier choix,  consistant à :

Envoyer dans la mesure du possible ces enfants d’Afrique en Europe, où ils seraient placés soit chez des particuliers qui pourraient les adopter, soit dans des institutions de charité, publiques ou privées.

Ce congrès ainsi que d’autres éléments poussèrent l’état colonial à sortir du bois pour ne pas se laisser déborder. Le Ministère des Colonies créa une commission ad hoc.

 c.       La Commission ministérielle pour l’étude du problème des mulâtres 1938-1939

Cette commission fut créée à la suite du Congrès de 1935, d’une interpellation parlementaire et du dilemme sur l’octroi des allocations familiales pour un enfant metis reconnu par son père.

Il en est ressorti neufs points en ligne avec les vœux du CPPI:

1°) que le Gouvernement ne favorise d’aucune manière l’envoi des mulâtres en Belgique ce qui implique un avis défavorable à l’octroi de l’indemnité familiale ;

2°) qu’il s’intéresse aux mulâtres abandonnés en Belgique soit en soutenant l’œuvre qui s’occupe d’eux, soit de toute autre manière ;

3°) que, par ses divers services d’Afrique ou certaines œuvres qui s’y sont créées : service médical, assistance médicale, consultations de nourrissons, goutte de lait, etc., il assure aux enfants mulâtres tous les soins qu’ils réclament dans les mêmes conditions et sur le même pied que les noirs, mais avec une sollicitude plus vigilante et plus étendue ;

4°) qu’une existence matérielle décente soit assurée aux jeunes mulâtres : alimentation, vêtements, etc. ce qui peut se réaliser par le placement dans des établissements d’instruction ;

5°) que l’on fasse prévaloir l’intérêt des mulâtres sur les droits de la mère de telle sorte que la seule mauvaise volonté de celle-ci ne puisse mettre obstacle aux mesures que l’intérêt de l’enfant commande ;

6°) que l’on recherche le moyen de faire participer le plus possible le père d’un mulâtre à ces diverses mesures par le versement d’une pension alimentaire ; (cf. Art. 340 Code Civil Belge)

7°) que le Gouvernement s’efforce de procurer une situation aux mulâtres adultes ;

8°) qu’il s’intéresse aux œuvres qu’ils fondent dans la Colonie : mutualités, cercles, etc.… pour en garder le contrôle et la surveillance ;

9°) qu’il s’intéresse aux œuvres qui, au Congo, s’occupent du problème des mulâtres et veille que l’action de ces organismes s’exerce dans le sens du programme qu’il aura adopté. Le problème ne revêtant pas seulement un aspect de bienfaisance mais un aspect social et politique, le Gouvernement, dont le concours est d’ailleurs constamment sollicité, a non seulement le droit mais le devoir d’orienter l’activité de ces organismes dans le sens indiqué.

 d.      La Commission ministérielle chargée d’étudier sous tous ses aspects le problème des mulâtres (1947-1952)

 Entre 1940 et 1945, la question fut débattu dans les Conseils de Gouvernement Général et Provinciaux, jusqu’à la constitution d’une nouvelle commission ministérielle par le Ministre libéral R. Godding avec pour mission de trouver des solutions concrètes aux problèmes des Metis et plus particulièrement aux trois aspects : le statut, l’éducation et les carrières. Le remplacement de Godding par Pierre Wigny créa aussitôt une nouvelle commission chargée derégler le problème du statut des indigènes « évolués » et de la carte de mérite civique. Elle fusionna avec celle sur le problème des Metis renforça les impasses dont deux méritent qu’on s’y arrête : le statut juridique, l’éducation.

 

3.      Les impasses majeures dans la prise en main de la question « Metis-Mulâtres » par l’état coloniale belge :

a.       L’impasse sur le statut juridique :

 Dans un contexte de barrière de couleur de fait, le statut juridique des Metis constituait un casse-tête permanent aux conséquences lourdes pour les Metis. François d’Adesky évoquera un aspect préoccupant qui résulte de cette impasse. Mais écoutons plutôt deux juristes belges qui ont écrit à 40 ans d’intervalle.

En 1920 le juriste Paul Salkin écrivait :

« Les lois de la colonie du Congo belge sont muettes sur le statut des mulâtres. Cette omission devrait être réparée. Le mulâtre ne cesse d’être un indigène que s’il est reconnu par son père avant sa majorité. Un assez grand nombre d’enfants mulâtres sont recueillis et éduqués dans les établissements philanthropiques : ils acquièrent ainsi la qualité d’indigènes immatriculés. Beaucoup cependant sont laissés à l’abandon. Il est recommandé par la dignité de la race blanche de faire aux mulâtres un statut qui les distingue des indigènes. Ne pourrait-on les grouper, une fois adultes, favoriser parmi eux des intermariages et les inviter à vivre dans des agglomérations séparées où ils développeraient une civilisation originale ? »

En 1959 le juriste Jean-Paul Paulus écrivait :

 « Le statut des mulâtres est très difficile à déterminer juridiquement parce que la loi n'en parle pas. Il faut cependant faire entrer le mulâtre dans une des trois catégories fondamentales : belges, congolais, étrangers. En bref, c'est la filiation juridiquement établie des mulâtres qui décidera de leur statut. Mais la législation étant muette à leur égard, la jurisprudence flottante, le statut des mulâtres est mouvant, parfois ils sont considérés comme des indigènes et parfois comme des non-indigènes » 

L’impasse sur le statut juridique se comprend aisément si on considère comme il est dit dans le Tome I du droit colonial :

« L'auteur de la loi du 18 octobre 1908 (dite Charte Coloniale) a voulu maintenir les privilèges de naissance et de race en vue d'assurer la suprématie des Blancs sur les Noirs et les rendre ainsi à même d'exercer le rôle civilisateur qui leur était assigné. »

Dans le cadre des débats sur la question du statut, la commission ministérielle de 1947 avait avancé un projet de décret sur la recherche de paternité volontaire ou forcée et l’action alimentaire. Ce projet s’appuyait sur un projet déjà évoqué en 1924 par M Gohr lors d’une question parlementaire destinée au Ministre des Colonies et qui avait été mis aux oubliettes.. Ce projet fut combattu notammentparle Gouverneur Général Pierre Ryckmans selon lequel :  

« Cette législation ne résout rien en faveur des enfants mulâtres, qu’ils soient reconnus ou non, dont le père ne subvient pas à l’entretien et à l’éducation.

En revanche cette législation, qui admet la preuve testimoniale pour établir le fait matériel des relations avec la mère, ouvre la voie au chantage, aux procès scandaleux et aux erreurs de la part des juges ».

Plutôt que la recherche de paternité le Gouverneur Pierre Ryckmans proposait:

« …d’assurer à ces enfants l’éducation que reçoivent les indigènes civilisés et de leur donner, par conséquent, à tous, la chance de se créer une situation sociale comparable à celle à laquelle ces indigènes peuvent prétendre. Il ne s’agit pas de constituer une classe de mulâtres distincte de celle des indigènes civilisés, mais bien de permettre aux mulâtres de s’élever au niveau de ceux-ci. A cette fin, j’estime qu’il conviendrait que le législateur donnât aux autorités le moyen légal de retirer l’enfant mulâtre du milieu indigène, même si cet enfant n’est pas délaissé, abandonné ou orphelin, en vue de déférer sa tutelle à des institutions philanthropiques qui lui assureront l’éducation de l’indigène civilisé. Cet enfant sera retiré du milieu indigène même s’il n’est pas délaissé ou abandonné au sens propre du mot. Le but recherché est en effet de donner aux enfants mulâtres la même éducation, la même instruction que celle que nous donnons aux indigènes les plus favorisés et de les élever au niveau de ceux-ci.

 b.      L’impasse sur la question de l’éducation.

Jusqu’en 1948, les metis n’étaient pas admis dans les écoles ouvertes pour les enfants blancs. Aucune loi, aucune règle ne justifiait cette ségrégation. La décision de construire des établissements scolaires réservés aux Metis a été prise dès 1911. Elle ne se concrétisera qu’en 1944 par la création des établissements à Lusambo (filles) et Kabinda (garçons) pour les Metis reconnus et répondant à des critères bien précis. La plupart des enfants metis ont donc été instruits dans les établissements pour indigènes. Il faudra attendre 1948, non sans une farouche opposition des parents blancs et même de la très respectable « Ligue des Familles »  pour que les Metis reconnus soient admis moyennant examen médical, preuve d’éducation à l’européenne. Les Metis non reconnus y furent admis en 1952 en même temps que les enfantsnoirs dont les parents étaient porteurs de la carte de mérite civique ;

4.      Conclusion

Les Metis ont été l’objet d’une ségrégation ciblée aux conséquences déplorables encore aujourd’hui sans qu’il n’y ait jamais eu de preuve qu’ils aient constitué un danger ou une menace aux intérêts coloniaux.

Cette ségrégation relève de ce que je qualifie d’affaire d’état. Mais l’état belge s’est trompé d’ennemis. Il s’est acharné sur une communauté ou plutôt un groupe de personnes vulnérables. Lasollicitude hypocritement affichée a augmenté cette vulnérabilité compte tenu de la persistance d’une barrière de couleur niée mais perceptible dans les faits, dans les textes juridiques et dans les esprits.

Il est difficile, en quinze minutes, de relater la genèse et l’évolution de la ségrégation dont les Metis ont été l’objet, c’est pourquoi je vous invite vivement à lire mon livre intitulée Noirs-Blancs Metis et dont le sous-titre constitue le vrai titre : La Belgique et la ségrégation des Metis du Congo belge et du Ruanda-Urundi 1908-1960.

J’aimerais terminer en disant : Noirs-Blancs, Metis qu’importe ? L’amour, l’amitié, le partage et le courage politique font de nous, les bâtisseurs potentiels d’une humanité plus fraternelle car hier comme aujourd’hui, le métissage physique ne constitue pas une menace, un horizon qui s’éloigne, il se profile plutôt commeune espérance qui approche, un indicateur d’un vivre ensemble plus vrai, plus durable qui s’inscrit dans le seul métissage véritable : celui de l’esprit.

De Belgische nationaliteitswet en Kongo, Belgische onderdanen in Kongo

WETTEN, PRAKIJKEN EN AMBITIES: INZICHTEN IN EEN VERANDEREND LANDSCHAP (1830 1984)

Prof. Frank Caestecker ( UGent )

Senaat, 31.5.2016

 

3.4. De Belgische nationaliteitswet en Kongo

 

Na de zware internationale kritiek op de wijze waarop Leopold II zijn privé-domein Kongo-vrijstaat beheerde werd in 1908 Kongo deel van het Belgisch territorium. Het werd niet opportuun geacht om bij de grondige herziening van de Belgische nationaliteitswet in 1909 ook plaats te voorzien voor de nationaliteit van de naar schatting 15 miljoen Kongolezen die de Belgische natie vervoegden. De Koloniale Keure of de Wet op het gouvernement van Belgisch-Congo voorzag wel een speciaal regime voor de Kongolezen: zij werden Belgische onderdanen, maar geen Belgische burgers.[1]

Het onderdaanschap verkreeg men door een mengeling van jus sanguinis en jus soli. De Belgische Kongolees was geboren uit een Kongolees op Belgisch-Kongolees grondgebied. Het juridisch statuut van de Kongolees vertoonde veel gelijkenis met het statuut van onderdaan eigen aan het Ancien Regime. Immers het jus soli was dominant daar het kind van een Kongolees geboren buiten het territorium van Kongo geen Kongolees was. Ook was de wet in Belgisch-Congo niet voor iedereen gelijk. Het koloniaal rechtssysteem was anders voor burgers dan voor onderdanen. De onderdanen hadden een apart rechtssysteem, waarbij deze Belgische onderdanen, in tegenstelling tot de burgers, nog onderworpen werden aan lijfstraffen. Deze onderdanen ontbeerden ook het politiek burgerschap en hun recht op mobiliteit was beknot. De toegang tot de Europese wijken in de steden, maar ook het verlaten van het Kongolees territorium werd deze Kongoleze Belgen ontzegd. Ook de toegang tot de publieke infrastructuur – scholen, ziekenhuizen, gevangenissen, publiek transport, begraafplaatsen –werd gediversifieerd naar juridisch statuut. Belgische onderdanen hadden minder rechten dan Belgische burgers, maar onder de Belgische onderdanen werd nog eens een onderverdeling gemaakt tussen zij ingeschreven in het bevolkingsregister en de niet geregistreerde onderdanen. Een registratie die afhankelijk werd gesteld van de‘beschaving’ van de betrokkenen. Onderdanen konden een aanvraag doen voor deze promotie en op basis van “meritocratische” verdiensten konden deze zwarte Kongolezen geregistreerd worden.

Kinderen geboren uit een relatie tussen een blanke man en een zwarte vrouw  werden, omwille van hun vader beschouwd als behorend tot een hogere beschaving. Deze kinderen waren Belgische burgers indien de Belgische vader hen erkende, wat zelden gebeurde. Deze Euro-Afrikaanse kinderen bleven veelal bij de moeder achter. De administratie hoorden hen evenwel allen op ambtelijke wijze in te schrijven in het bevolkingsregister. Deze promotie tot betere Kongolezen op basis van hun bloedband met een blanke Europeaan en zonder zich inspanningen te getroosten om zich te beschaven, weerspiegelde de raciale grondslag van deze koloniale orde. Gezien hun registratie genoten de Euro-Afrikanen enige privileges. Met een inschrijving ontsnapten deze onderdanen aan het gewoonterecht, ten voordele van het Belgische wet. Deze geregistreerde onderdanen, de zogenaamde évolués, konden geen lijfstraffen meer krijgen en werden, indien nodig door een Europees rechter berecht.[2]

Conclusie

De Belgische nationaliteitswetgeving was in vergaande mate schatplichtig aan de Franse Code Civil. De kern van de natie waren de mensen die verbleven op het Belgisch territorium in 1815 en hun afstammelingen. De band van het bloed die de natie maakte zorgde voor een essentialistisch of etnisch begrijpen van de Belgische natie. De Franse inspiratie gaf de Belgische nationaliteitswetgeving ook een civiel begrijpen van de Belgische natie. Immigranten en hun nakommelingen konden kiezen voor België, via respectievelijk de naturalisatie en de optie. Deze individuen hadden de keuze het contract tussen staat en zijn inwoners te onderschrijven om nationale burgers te worden. Op een voluntaristische basis vervoegden zij zo de natie.

Het ontzeggen van de politieke rechten aan de gewoon genaturaliseerden en de commotie rond het verlenen van de staatsnaturalisatie na 1881, gaf toen duidelijk aan dat de inzet van de nationaliteit tot diep in de negentiende eeuw vooral de politieke rechten was. Ook het genieten van alle voorrechten van het openbaar ambt was een belangrijke drijfveer om de Belgische nationaliteit te verwerven. Dat vreemdelingen openbare functies vervulden was een duidelijk illustratie dat de scheidingslijn tussen Belg en gevestigde vreemdeling in de toenmalige maatschappij vaag was.  

Op het einde van de negentiende eeuw zou dat veranderen. De versterkte versmelting tussen staat en maatschappij leidde tot een verscherping van deze scheidingslijn binnen de samenleving. Belgen werden onderscheiden van vreemdelingen waarbij enkel de Belgen onder de bescherming van “hun” staat werden genomen en rechten en plichten vorm kregen. De openheid voor gevestigde vreemdelingen bleef nog groot en de nieuwe discriminaties beperkten zich tot het vernederen van de ingezeten vreemdelingen door hen te dwingen hun militaire graad in de burgerwacht of hun bestuursmandaat in de beroepsvereniging in te leveren. De meer actieve staat besliste dat vreemdelingen hier geen recht meer op hadden. Ingezeten vreemdelingen werden steeds minder beschouwd als de facto Belgen. Het beleid naar de gevestigde vreemdelingen verloor de liberale beginselvastheid van weleer die vertrok vanuit de overtuiging dat het individu moest beschermd worden tegen de staatsmacht. De blijvende openheid voor gevestigde immigranten bleek uit de genereuze toegang tot de Belgische nationaliteit. Het democratiseringsproces vertaalde zich in een zich terugplooien op de "eigen" nationaliteit. Gevestigde vreemdelingen konden zich vrijwaren van hun degradatie als vreemdeling door hun nationaal statuut te wijzigen. Hiertoe werd de nationaliteitswetgeving sterk geliberaliseerd.

In het begin van de twintigste eeuw zullen de moeilijkheden die de reorganisatie van de maatschappelijke ordening -van domicilie naar nationaliteit- veroorzaakten, leiden tot een drastische herziening van de nationaliteitswetgeving teneinde de voormalige de facto Belgen aan boord te houden. Tegelijkertijd kregen de Belgische vaders de kans hun Belgische nationaliteit aan hun nakomelingen, ook als ze in het buitenland geboren waren en daar verbleven, door te geven en dit gedurende generaties.

Zowel het civiele als het etnisch begrijpen van de Belgische natie werden  maximaal uitgerokken. De politieke elite wilde zowel de afstammelingen van de oerBelgen, ook als ze in het buitenland geboren en getogen waren, als de immigranten en hun nakomelingen die de Belgische natie wilden vervoegen, in de natie opnemen. Er was dus een groot vertrouwen in de kracht om de Belgische natie samen te houden, ook als mensen van elders kwamen of elders gingen. Deze potentie van de Belgische natie negeerde de gehuwde vrouw, haar behoren tot de Belgische natie lag in de handen van haar echtgenoot. Ook de Kongolees werd slechts partieel beroerd door het Belgische assimilatievermogen. Het toenmalig expansief natiebegrip had een seksistische en racistische keerzijde.


(...)

3.5. Belgische onderdanen in Kongo: stilte voor de storm

 

Na de Tweede Wereldoorlog met de Verenigde Staten als de nieuwe wereldmacht verloor kolonisatie heel wat van haar legitimiteit. De Belgische overheid wees een afhankelijkheid van haar kolonie radicaal af, maar investeerde meer in het bestuur van Belgisch Kongo. Kongo werd in officiële verklaringen  'de tiende provincie van-België’ genoemd. Het was een poging om de neerbuigende houding van weleer te vervangen door een gelijkwaardigere relatie waarbij Kongo werd gepresenteerd als een integraal onderdeel van het moederland. Heel wat meer Belgen werden ingezet om het bestuur, inclusief de medische en educatieve verzorging van de bevolking te verbeteren. In 1960 verbleven er zo 86.000 Belgen in Kongo. Dit beleid werd strak geleid vanuit Brussel. Het lokaal bestuur, quasi integraal bemand door blanken had weinig inbreng daar Brussel vreesde dat het geven van autonomie aan Kongo zou leiden tot een vorm van formele apartheid die de verstandhouding tussen zwart en blank zou verslechteren. Het centraal objectief van het Kongolees beleid dat in Brussel werd uitgestippeld was de onderdanen in Kongo een basiseducatie te geven waarmee de ‘westerse’ waarden konden doorsijpelen in de massa. Een volwaardig burgerschap verlenen aan de (zwarte) onderdanen werd door de beleidsvoerders in Brussel niet overwogen. Zelfs het opleiden van een zwarte elite stond nog nauwelijks op de agenda. Het middelbaar onderwijs werd maar gestart in 1938 en slechts in 1954  werd een afdeling van de KUL, Lovanium opgericht met bij de start 33 studenten en 7 professoren.

Zoals reeds aangegeven werd reeds in de beginjaren van Belgisch Kongo een elite afgelijnd van Kongolezen die als een betere categorie onderdanen werd beschouwd. Deze zogenaamde évolués gedroegen zich, volgens de Belgische autoriteiten als ‘westers’ of werden omwille van hun partiële blanke afkomst (de Euro-Afrikanen) als beter beschouwd. Zij werden in die zin ook geregistreerd en genoten van minimale privileges. Na de Tweede Wereldoorlog werden stappen ondernomen om deze evolués dichter bij de burgers te doen aansluiten. In 1948 werd het statuut van deze beschaafde Belgische onderdaan geformaliseerd. De kaart voor burgerlijke verdienste werd ingevoerd. De évolués mochten ook na 6 uur ’s avonds in de blanke wijk lopen, iets wat de ‘wilde’ onderdanen werd ontzegd. Het statuut van de betere onderdanen werd in 1952 versterkt met een identiteitsdocument dat hen overal in het openbaar leven gelijkschakelde met de Belgische burgers. Het belangrijkste voordeel was dat de ‘beschaafde’ Kongolezen hun kinderen naar de Europese school mochten sturen. De voorwaarden voor dit identiteitsdocument waren streng: zolang de aanvraag liep kon een inspecteur ongevraagd binnenvallen in het huis van de kandidaat om te verifiëren om deze familie wel Europees genoeg leefden. Tegen het eind van de jaren 50 waren er op een bevolking van 14 miljoen mensen slechts 1557 individuen met een kaart voor burgerlijke verdienste. Van deze ‘betere’ Kongolezen verwierven slechts 217 personen de speciale identiteitskaart.[1] Deze ‘betere’ Kongolezen bleven onderdanen die een volwaardig burgerschap werden ontzegd. In 1960 zouden deze kleine minderheid, samen met de massa de onafhankelijkheid met beide handen grijpen

 

[1] Assumani Budagwa , Noirs blancs Métis, la Belgique et la ségrégation des Métis du Congo belge et du Ruandi-Urundi (1908-1960). S.L.: uitgave door de auteur, 2014; Jeurissen, Quand le métis s'appellait "mulâtre".; Sarah Heynssens , Entre deux mondes : le déplacement des enfants métis du Ruanda-Urundi colonial vers la Belgique. Revue d'histoire de l'enfance "irrégulière, 14, 2012, pp. 97-122; Kathleen Ghequière & Sibo Kanobana. De bastaards van onze kolonie. Verzwegen verhalen van Belgische metissen. Roeselare: Roularta, 2001.

[1] Jean Stengers, Belgique et Congo: l'élaboration de la Charte Coloniale. Bruxelles: La Renaissance du Livre, 1963; Tom De Meester, Placebo-Belgen. De reproductie van de juridische natie in Belgisch Kongo (1908-1960). Tijdschrift voor Sociale Geschiedenis, 1998, XXIV, 3, 235-254; A.Sohier, La nationalité des Congolais, Journal des Tribunaux d’outre-mer, I, 1950, 5, pp.49-51.

[2] Assumani Budagwa, Noirs blancs Métis, la Belgique et la ségrégation des Métis du Congo belge et du Ruandi-Urundi (1908-1960). S.L.: uitgave door de auteur, 2014; Lissia Jeurissen,  Quand le métis s'appellait "mulâtre". Société, droit et pouvoir coloniaux face à la descendance des couples eurafricains dans l'ancien Congo belge. Bruxelles: Bruylant, 2003.