Rappelons, Constatons, Notons

Pol Minguet

 
Introduction

Madame la Présidente, Mesdames et Messieurs les Sénateurs, Membres de l’AMB,


Je suis né en République Démocratique du Congo, d’une mère congolaise et d’un père belge, à la fin des années 80, et pour cela, j’ai de la chance.


En effet, si j’étais né trente années plus tôt, je ne serais pas à la tribune devant vous, mais assis avec mes aînés. Je serais assis avec eux, le cœur et la chaire marqués par la souffrance et l’injustice. Je serai assis avec eux, l’âme meurtrie et en quête d’identité.
Si j’étais né à leur époque, je n’aurais pas pu grandir dans les conditions qui furent les miennes, de m’enjailler au quotidien, je n’aurai pas connu ma famille paternelle. En d’autres mots, une partie de mon enfance, de mon histoire, ma dignité m’aurait été volée.  

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Madame la Présidente, j’ai une chance encore plus grande aujourd’hui, c’est de pouvoir les aider dans cette noble cause, celle de la reconnaissance des souffrances qui sont les leurs, de mettre la lumière sur les discriminations ciblées et spécifiques dont ils ont été victimes.


 
1. Bases légales

Rappelant que la Belgique fut admise en date du 27 décembre 1945 parmi les membres des  Nations Unis, de facto était tenue de respecter ces engagements en matière de droits de l’Homme,
 
Rappelant les articles 10 et 11 de la Constitution garantissant le principe d’égalité et de  non-discrimination,
 
Rappelant que la Belgique a ratifiée la Déclaration universelle des droits de l’Homme (« DUDH »), adoptée par l’assemblée générale des Nations Unis le 10 décembre 1948,
 
Réaffirmant le principe d’égalité et de non-discrimination consacré par DUDH, qui proclament le respect de tous les droits et de toutes les libertés énoncées dans cette Déclaration sans distinction aucune, notamment de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d’opinion politique ou de toute autre opinion, d’origine nationale ou sociale, de fortune, de naissance ou de toute autre situation,

Constatant que les articles 1, 2, 6 et 15 de la DUHD n’ont pas été respecté par la Belgique(1),  à savoir le principe d’égalité et de non-discrimination, la reconnaissance de sa personnalité juridique et le droit de disposer d’une nationalité.  
 
Rappelant les deux Conférences mondiales de la lutte contre le racisme et la discrimination raciale, tenues à Genève en 1978 et 1983,
 
Rappelant que la Déclaration et le Programme d’action de Vienne adoptés par la Conférence mondiale sur les droits de l’homme en juin 1993 demandent l’élimination rapide et intégrale de toutes les formes de racisme et de discrimination raciale ainsi que de la xénophobie et de l’intolérance qui y est associée,
 
Mettant en avant la Déclaration et le Programme d’action de la Conférence mondiale contre le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie et l’intolérance qui y est associée, adoptés à Durban en août 2001, à laquelle la Belgique a participé,
 
Notant avec une grande préoccupation que, malgré les efforts de la communauté internationale, les principaux objectifs des trois Décennies de la lutte contre le racisme et la discrimination raciale n’ont pas été atteints et que d’innombrables êtres humains sont aujourd’hui encore victimes de diverses formes de racisme, de discrimination raciale, de xénophobie et de l’intolérance qui y est associée,
 
Constatant que certains traités et autres accords internationaux furent adoptés après les indépendances respectives de la République Démocratique du Congo, du Burundi et du Rwanda, auxquels la Belgique est liée,
 
Rappelant que les discriminations dont les métis sont victimes ont continuées de déployer leurs effets après l’indépendance de ces pays, jusqu’à aujourd’hui, et ce tant sur le territoire de ces pays colonisés par la Belgique ou administrés par elle sous mandat de la Société des Nations (« SDN ») et ensuite de l’Organisation des Nations Unies (« ONU »), que sur le territoire belge, (1)
                                                        

Notant que la discrimination ciblée sur les enfants métis issues de l’administration belge au Congo, au Burundi et au Rwanda (les « Métis ») déploie encore des effets néfastes de nos jours (actes de naissance falsifiés, liens de parenté bafoués, déracinement, difficultés administratives, etc.),  

 Constatant que la discrimination raciale ciblée et spécifique dont ont été victime les Métis, n’a pas été combattue et encore moins réparée, en particulier par les autorités publiques à tous les échelons, que leur existence a et reste remplie de souffrance et que les autorités publiques belges se doivent de reconnaitre et réparer (les « autorités »).


2. Groupe cible

Le nombre des Métis issus de l’union d’un/une belge lors de la colonisation ou de l’administration belge sous mandat de la SDN et ensuite sous tutelle de l’ONU est de plusieurs centaines en Belgique, mais aucun recensement officiel n’a été effectué.

Il s’agit de métis « coloniaux », ainsi que leurs mères et pères qui pendant leur enfance ont été enlevés pour être placés sous tutelle d’institutions sponsorisées par l’Etat belge, de familles d’accueil, de personnes tierces, etc. C’est-à-dire, qui ont été forcés de devenir orphelins malgré l’existence de leur parents biologiques, dont souvent, un père biologique qui disposait des ressources matérielles suffisantes pour subvenir à leurs besoins.

Le champ d’application rationae personae se cantonne donc aux Métis nés avant l’indépendance et qui ont été victime d’un enlèvement forcé pendant leur enfance, ou toutes autres formes de discriminations ciblées, ainsi que leurs parents.

 
3. Reconnaissance et excuses

Les Métis demandent aux autorités belges et en particulier au Gouvernement fédéral, au Pouvoir législatif (Chambre et Senat), aux Régions et aux Communautés, à toute entité qui poursuit la personnalité juridique de l’Etat et/ou de l’administration coloniale, de reconnaître officiellement la discrimination ciblée et spécifique dont les Métis ont fait et font toujours l’objet.

La résolution « Métis » est une première étape positive dans le processus nécessaire de reconnaissance des souffrances infligées par le régime colonial belge, et malheureusement perpétuées par la suite.

De manière surabondante, nous demandons, à l’instar de celle qui furent présentées par le Gouvernement et le Parlement flamand le 24 mars 2015 au profit des victimes des adoptions forcées, avec la complicité de l’Eglise catholique entre 1960 et 1980, des excuses publiques.  En effet, les Métis, en plus d’avoir subi des adoptions forcées, ont été enlevés de force, sans le consentement de leurs parents, en d’autres mots, arrachés à leur vie.

Conformément aux paragraphes 92 et suivants de la Déclaration du Durban, nous invitons les autorités ; la mise en œuvre et dans les plus brefs délais, des recherches scientifiques concernant  les cas des Métis, d’impliquer les Métis dans ce travail scientifique et de mémoire, d’en rendre publique les résultats.

Conformément aux paragraphes 117 et suivants de la Déclaration de Durban, nous demandons aux autorités ; la mise en place d’un programme éducatif et des mesures de sensibilisation adéquate concernant l’histoire des Métis. Cette partie de l’histoire de la Belgique, aussi sombre soit elle,  se doit d’être enseignée dans les manuels d’histoires. Dans le but d’éliminer toutes les formes de discrimination et sachant que le dialogue intercommunautaire est la clef, il nous semble idoine que des chapitres sur la colonisation soient revus, et qu’un point spécifique sur les Métis y soit inséré.

a. Réparations

Les demandes ci-dessous ne sont pas exhaustives. Elles ne reprennent que les points considérés les plus urgents. Par voie de conséquence, nous demandons aux autorités la mise en place des moyens nécessaires pour réparer l’ensemble des préjudices subis par les Métis.

i. Archives

Il est indispensable que les Métis ou toute personnes liées directement ou indirectement puissent avoir accès aux archives de l’État (coloniales ou autres), que les autorités donnent des facilités d’accès et, mettent en place les négociations nécessaires avec les entités privées (l’Eglise, les internats privés etc.) pour avoir accès à leurs archives.

De plus, il est primordial que les autorités mettent en place les moyens nécessaires pour permettre aux Métis de mener à bien leurs recherches parentales (paternité et maternité).  

ii. Facilités administratives

Comme cela a été exposé par les autres intervenants, beaucoup de Métis ont vu leur acte de naissance falsifié ou absent et leur nationalité retirée sans raisons valable, certains se retrouvant apatrides.

Considérant les nombreuses conséquences subies par les Métis, concernant leurs libertés fondamentales ; de circuler librement, de pouvoir contracter mariage et de connaitre leurs liens de parentés, nous demandons aux autorités :

  1. La mise en œuvre des démarches nécessaires pour régulariser les vices des actes administratifs :
    En délivrant des actes de naissances conformes et non faussés à ceux qui n’ont pas de tels actes ;
    En accordant des facilités de visa pour les parents de nationalité différente et de facto de noms différents ; 
  2. Le recouvrement de la nationalité pour ceux qui en aurait été déchus sans raison valable
  3. Le recouvrement de leurs nom et prénom originels pour ceux qui le désirent, et ce sans devoir se voir opposer des frais de justice (procédure, greffe, publication etc.) y afférant.

 
iii. Assistance psychologique

Il est primordial qu’une cellule d’assistance psychologique spécialisée soit mise en place à la disposition des Métis et leurs parents. En effet, nombre d’entre eux ont souffert de traitements inhumains imposés pendant leur enfance. En effet, beaucoup furent maltraité physiquement et moralement ou abusé sous les formes les plus odieuses pendant leur enfance. Pour eux, il est difficile de témoigner publiquement, ceux présents étant probablement les plus forts ou les plus chanceux dans leur malheur.

Conclusion

L’histoire de notre pays n’est pas linaire, elle a aussi sa part d’ombre, la colonisation et l’histoire des Métis en fait partie. 

La chance qui est la vôtre, est d’avoir l’opportunité de ne plus être des simples lecteurs de l’histoire et de ces manquements, mais de pouvoir combler ceux-ci. Vous avez la possibilité de réparer les torts, la possibilité d’écrire une histoire plus vraie, une histoire plus juste.

Ce que je vous demande aujourd’hui ; c’est de saisir cette opportunité. La résolution « Métis » est un premier pas pour être du bon côté de l’histoire des Métis, de l’histoire de la Belgique, de la République Démocratique du Congo, du Burundi et du Rwanda, de la vôtre, de la mienne, bref de notre histoire commune à toutes et à tous.

De manière surabondante, je tiens à saluer personnellement les Métis et l’AMB pour la beauté de leur courage, pour la force de leurs convictions et leur quête de justice. Sachez que c’est sans haine aucune, qu’ils demandent la reconnaissance des préjudices subis, ainsi que de pouvoir jouir de leurs droits fondamentaux.

Finalement, les Métis ne sont plus qu’uniquement assis dans le siège de l’injustice, mais se tiennent fièrement debout, ici devant vous. Quand je vois leurs parcours, leurs qualités humaines, malgré les difficultés qu’ils ont rencontrées - pour cela ils feront éternellement partie de la dream team de mon cœur.  
 
Sachez que ma génération continuera à se lever avec eux et à hausser la voie pour leur cause.   Madame la Présidente, Mesdames et Messieurs les Sénateurs, Membres de l’AMB, merci.


(1)

Article 1 : Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. Ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité.

Article 2 :

  1. Chacun peut se prévaloir de tous les droits et de toutes les libertés proclames dans la présente Déclaration, sans distinction aucune, notamment de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d’opinion politique ou de toute autre opinion, d’origine nationale ou sociale, de fortune, de naissance ou de toute autre situation.

  2. De plus, il ne sera fait aucune distinction fondée sur le statut politique, juridique ou international du pays ou du territoire dont une personne est ressortissante, que ce pays ou territoire soit indépendant, sous tutelle, non autonome ou soumis a une limitation quelconque de souveraineté.

Article 6 : Chacun a le droit a la reconnaissance en tous lieux de sa personnalité juridique.

Article 15 :

  1. Tout individu a droit à une nationalité.

  2. Nul ne peut être arbitrairement prive de sa nationalité, ni du droit de changer de nationalité.