Charles Géradin témoigne
Madame la Présidente du Parlement francophone bruxellois, Madame la Députée,
Mesdames et Messieurs, Sénatrices, Sénateurs, chefs de groupe, Parlementaires et Députés, Mesdames et Messieurs,
C’est un honneur que vous nous faites en nous invitant à nous exprimer au sein de ce lieu qui est le vôtre. J'y vois un double symbole. Le premier, c'est la vitalité de vos "Jeudis de l'Hémicycle". Le second c’est la singularité du lien qui vous unit et vous rapproche avec tous les citoyens dans divers domaines de notre société.Soyez-en chaleureusement remerciée Madame la Présidente, Madame la Députée.
J’en ajouterais un troisième;J’ai ouie dire, Madame la Présidente, que vous aimiez les arts, la musique, particulièrement le chant, c’est là aussi un symbole, gage de sensibilité, de générosité et d’humanisme dont nous comptons bien profiter.
Mais, que dire de ceux qui veulent s’exprimer et qui n’en ont pas la possibilité.
Que dire de ceux qui ne souhaitent pas s’exprimer, murés dans leurs silences ils portent sans doute en eux une blessure irréversible, causée par l’humiliation ? un sentiment de culpabilité ? un ressentiment envers ceux qui les ont privés de leur père et surtout de leur mère ?
Ce 20 octobre 2016, ce « Jeudi de l’Hémicycle » nous est consacré. Après plus d’un demi siècle, nous nous exprimerons de notre mieux, certes, parfois avec émotion mais avec d’autant plus de lucidité et de sérénité. Cette histoire, notre histoire, a aussi sa part d’ombre. Comme toute Nation, la Belgique se grandira lorsqu’elle regardera lucidement son passé colonial. Un devoir de mémoire, voila qui est dit, c’est là la seule manière d’être à la hauteur de ce passé qui nous accable toutes et tous. La seule. Il n’en n’existe pas d’autre. Mr. Le Député fédéral Benoit Hellings nous a honoré de sa présence au cours d’une de nos réunions, il est représenté ici par son assistante Mme Béatrice Janssens, (merci Mme) le fait que nous nous soyons rencontrés autour de ce sujet démontre bien que la Belgique doit avoir les outils historiques pour assumer son devoir de mémoire.
En préambule à mon témoignage, Je voudrais si vous le permettez, poursuivre les propos tenu par ce même Robert Ketels lors de ce congrès de 1935 à Bruxelles, présidé par Mr. Paul Crokaert, Sénateur et ancien Ministre des colonies belges dont Assumani Budagwa vient de vous lire quelques extraits, en voici un autre ; Cependant, si tous ne partageaient pas son opinion, les choses n’ont pas changé pour autant.
…..JE CITE…..
Voici en conclusion, d’autres principes d’actions :
1-la race doit être mentionnée dans l’état civil : les metis ne sont-ils pas introduits en Belgique simplement sous le nom de leur père, sans qu’on ne tienne compte de leur race, ni qu’on l’annonce à leur état civil ?
2-Pour mieux fixer la réalité, le metis ne doit pas porter un nom européen.
3-Les responsabilités concernant les introductions de metis en Belgique doivent être déterminées, dénombrées avec précision, avec quelque indulgence pour le passé, avec grande sévérité pour l’avenir.
……FIN DE CITATION…….
Ce préambule vous permettra de mieux comprendre l’attitude et le comportement des autorités belges par rapport au sort réservé à ces enfants nés de relation non tolérées par l’Etat colonial. Heureusement, comme tous les enfants dans leur insouciance infantile, nos conditions de vie, et c’est bien là le malheur, ne nous faisait pas désespérer de la nature humaine, pas encore…..
Il faut savoir que le parcours de chacun de ces enfants sacrifiés est différent avec pour point commun de les avoirs retirés de leur mère de force et parfois sous la menace.
-Les actes de filiation de ces enfants, qui ont été établis malgré des actes de naissances officiels, authentiques de certains pères qui ont pourtant bien reconnu leurs enfants ont eu pour effet la mise sous tutelle massive de ces enfants, sans aucun jugement, sans une nationalité jusqu’à leur 18 ans pour certains d’entre eux, en totale contradiction avec la déclaration universelle des droits de l’homme qui stipule en son article 15 :
« Tout individu a droit à une nationalité…nul ne peut être arbitrairement privé de sa nationalité, ni du droit de changer de nationalité ».
Comme disait Jean Gouyé, acteur et humoriste français, les hommes naissent libre et égaux en droit…après ils se démerdent (s’excuser). Pour beaucoup d’entre-nous ce fut le cas et encore le cas aujourd’hui. Je complèterais cette phrase en disant que les femmes aussi naissent libres et égales en droit, tout de même! ce sont quand même bien elles qui nous mettent au monde non ?.
Je tiens, à votre disposition Madame la Présidente, Madame la Députée,
-une copie conforme à l’original de mon acte de filiation, établi le 2 septembre 1959 au Rwanda et signé par 3 commis désignés pour l’occasion par l’Officier d’Etat civil belge Mr. Rulmont, aucun de ces commis n’ont jamais rencontré, ni connu ou parlés avec mon père, celui-ci n’ayant d’ailleurs jamais séjourné dans cette région. Cet acte de filiation rendit néanmoins caduque mon acte de naissance.
Pour être tout à fait clair, je me suis vu retirer ma nationalité belge. Arrivé en Belgique Je ne suis devenu belge que plus tard. Quant à mon meilleur ami Donatien Ceulemans lui il devint Congolais ici même en Belgique, tout de même, Meulemans, Beulemans et Ceulemans ne riment pas vraiment avec Congolais, vous en conviendrez. A la maison communale de Namur, l’Officier d’Etat civil omis de le mettre en garde des dispositions prises par la Belgique envers les ressortissants Congolais, des mesures de rétorsions sans précédent du fait de l’indépendance du Congo.
J’ai également à votre disposition une copie certifiée conforme à l’original de mon acte de naissance, établi le 24 juillet 1945 un mois après la reconnaissance de mon père.
Je vous lis aussi un extrait des règles d’attribution de la nationalité belge avant 18 ans près les Affaires Etrangères:
Né d’un parent belge
- 1Vous êtes né avant le 01.01.1967, vous êtes belge né(e) enfant légitime (dans le mariage) d’un père belge. Dans ce cas, vousêtes belge;
- Vous êtes né(e) hors mariage et le parent (père ou mère) qui vous a reconnu(e) le premier était belge. Dans ce cas vous êtes belge depuis cette reconnaissance.
Il faut se rendre compte de cette humiliation qui consiste à vous priver et à retarder l’octroi de la nationalité pour le seul motif d’être né de parents étrangers qui plus est, entre noirs et blancs belges. Avec une telle disposition, cela engendre un trouble identitaire qui ne disparaitra peut être jamais.
L’Etat colonial est sorti à maintes reprises de son cadre légal.
J’ai eu la chance d’avoir été accueilli par une famille extraordinaire qui m’inculqua des notions de valeur, du respect d’autrui de la fierté d’être belge et me préservant de ce trouble identitaire.
Certains de leurs petits enfants sont d’ailleurs ici présents et me témoignent toujours de leur affection. Je m’appelle Charles François Géradin, je suis né le 27 juin 1945 au Congo à Popolo-Lisala, une ville ou localité située le long de la rive gauche du fleuve Congo. Actuellement c’est Lisala tout court, le mot Popolo nous indique peut être qu’il y avait à cette époque une importante colonie composée essentiellement d’italiens, en effet Popolo-lisala en italien veut dire peuple de Lisala.
Mon père
Mon père était belge, s’appelait Victor Géradin, agent sanitaire, fonctionnaire au service de l’Etat colonial.
Bravant les interdits, les préjugés envers tous et contre tout, il m’a reconnu ainsi que trois autres enfants, deux demi-sœurs et un demi-frère. Cet acte lui valu son écartet son renvoie du fonctionnariat colonial belge. Il ne fut pas le seul. Mon père s’est comporté de manière exemplaire, son sens des responsabilités a été remarquable vu le contexte de l’époque. Natif de nos Ardennes, à Houffalize, têtu comme il se doit, homme courageux, digne et d’honneur.
Héroïque, il participa entre 1940 et 1942 à la guerre de l’Afrique de l’Est, en Abyssinie (Ethiopie) contre les troupes de Mussolini qui s’était rallié à Hitler et fut gravement blessé selon ma tante en portant secours aux blessés, c’était son devoir. Généreux, il a contribué à la construction d’une pyramide en 1938 érigée en l’honneur de tous ceux qui ont cherché la source du Nil dès les temps des anciens Egyptiens, la source la plus méridionale du Nil. Mon père y était, il mit la main à la pâte, il est cité dans la publication trimestrielle de l’Institut Colonial Belge, « Bulletin des séances » parue en 1950, imprimée au n° 25 Avenue Marnix à Bruxelles. Je lui rends, ici, si vous me le permettez, un hommage solennel. Cela vaut bien toutes les médailles du monde.
Ma mère
Ma mère était rwandaise. De ma mère je garde un souvenir d’une mère aimante, soucieuse de mon bien être et de mon éducation.
Après avoir quitté le Congo, dont je n’ai gardé aucun souvenir, nous nous sommes installés au Rwanda, plus exactement à Byumba, une ville située au nord-est du Rwanda non loin de la frontière ougandaise.
C’est à Byumba que ma mère fut convoquée pour la première fois chez un Administrateur- territorial non sans quelques appréhensions, car lorsqu’on demandait aux autochtones, aux rwandais, à quoi servait un Administrateur territorial, qui par ailleurs, toujours accoutré d’un uniforme militaire, et en courte culotte, ce qui le rendait quand-même un peu moins impressionnant, d’ailleurs j’en portais une aussi, la réponse était, … c’est quelqu’un qui met les gens en prison. De cet entretien, l’Administrateur territorial décida de me retirer à ma mère pour la première fois sur décision de l’Etat colonial, ce ne sera pas la dernière fois. Ma mère fut contraint de m’envoyer à Save, forcée de déménager, elle s’installa donc à Astrida (aujourd’hui devenu Butare) à quelques encablures de là, pour ne pas trop s’éloigner de son fils. Elle ne fut d’ailleurs pas la seule.
Save
A Savé J’avais la chance de retourner auprès de ma mère pendant les vacances, mon père me rendait de temps à autre quelques visites, mon grand père, alors déjà fort âgé me rendit également visite.
En février de cette année Mme Soraya Ghali du Vif-l’Express a recueilli mon témoignage sur nos conditions de vie à Savé, je l’en remercie. Un exemplaire de ce témoignage vous a été remis. Je ne m’y attarderais donc pas plus qu’il ne le faut. A l’âge de 7 ou 8 ans les garçons quittaient Savé et étaient envoyés à Byimana au Rwanda ou à Nyangezi au Congo. Les sœurs, vertueuses s’inquiétait sans doutede notre taux de testostérone alors qu’un mur haut et aussi épais, tels qu’on les construisait au moyen âge nous séparait des filles.
Byimana.
Byimana était un institut tenu par les frères Maristes, nous y poursuivions nos études. A Byimana nous nous sommes épanouis vaille que vaille, par le sport, le football, la chasse le soir dans les marais dans la pénombre, nous attrapions des grue-couronnées, nous avions même construit un enclos avec quelques biches et chevreuils fruit de notre agilité, diable ! je me demande encore comment nous nous y prenions. C’est à Byimana que 3 événements allait marquer mon destin futur ;
- je fus pris discrètement en charge par un Père Jésuite nommé Charles Dury
- ensuite, durant mes vacances, j’assistais à la 2em convocation de ma mère chez l’Administrateur territorial. Cette fois ma mère allait sortir de ses gongs
- et enfin mon admission au collège jésuite de Bujumbura en Urundi et mon départ pour la Belgique.
Le père jésuite Charles Dury, dont la sœur, devenue Députée qui fut une de vos collègues, me disait toujours, en ce monde il y a des gens biens, de bonnes personnes, il suffit de les rencontrer et de les connaître, il fut le premier que j’ai connu, il me trouva une famille d’accueil en Belgique, une famille merveilleuse et m’assura de toute son attention des années durant.
Pour la seconde fois ma mère et moi sommes convoqué chez l’Administrateur territorial assisté d’un traducteur car ma mère ne parlait pas la langue Française, elle compris vite l’enjeu de cette convocation on allait lui retirer une seconde fois son fils et cette fois l’envoyer en Belgique, elle ne tarda pas à réagir, elle parlait beaucoup ma mère, c’était une artiste de la parole, sur ce point elle excellait. A cette occasion elle s’illustra dans le lyrisme avec un penchant dramatique pour la circonstance.
J’observais l’Administrateur sidéré, incrédule écoutant les diatribes de ma mère et qui, désorienté, n’espérait plus rien de son brave traducteur qui pourtant était rwandais. Je soupçonnais aussi ma mère de vouloir négocier, mais négocier quoi ? elle savait que le combat était perdu d’avance. Et enfin, mon admission au collège jésuite de Bujumbura, dernière ligne droite avant mon départ en Belgique.
Le collège du Saint-Esprit à Bujumbura, ultra moderne fut construit par un grand architecte belge, Roger Bastin début des années 50 conjointement par le Rwanda et le Burundi, on confia aux jésuites l’enseignement pour former la future élite de ces deux pays, je n’en aurais pas le temps mais j’y appris tellement de chose en si peu de temps, il faut dire que la discipline y était rude et pourtant nous n’avions que trois choses à faire, école, étude et sport…… j’ai donc demandé à ma mère de me laisser continuer mes études en Belgique, je lui promis de rester en contacte avec elle et de revenir un jour, elle fut soulagée signa les documents ad-hoc, de mon côté j’ai tenu ma promesse.
Je termine en rendant un hommage à la famille qui m’a accueilli en Belgique, lui je l’appellerai le père Case, elle la mère Case. Malgré leurs lourdes charges, 4 enfants aux études dont deux à l’université, ils m’accueillirent avec générosité, leurs enfants avec enthousiasme. De la mère Case je garde un souvenir très précis, chaque vendredi, jour que je redoutais car il fallait se lever à 5h du matin pour aller au marché matinal, avant de rentrer à la maison elle faisait le tour du quartier pour distribuer des cageots de fruits et de légumes aux plus démunis et que je ne devais rien dire. Le père Case, découvrit le pot au rose et lui dit tout simplement « est ce bien raisonnable » nous avons découvert, après son décès, qu’il travaillait aussi depuis quelques années bénévolement comme secrétaire des habitations ouvrières de Bruxelles. J’ai toujours pu compter sur leurs enfants, je garde de bons contactes avec leurs petits-enfants, L’un d’eux me présenta l’arrière de leur petit-enfant et lui dit « je te présente ton oncle d’adoption.
Madame la Présidente …….Mesdames, Messieurs, Je vous remercie pour votre bienveillante écoute.
Charles Géradin.
Bruxelles, le 20 octobre 2016.