Pour ma petite fille Shaoline

Extrait du témoignage de  Jack BOTHMA 1943 -2004
Réalisé dans les derniers mois de sa vie  pour sa petite fille Shaoline

Lu par sa fille Sandra BOTHMA

Mesdames, Messieurs les sénateurs et représentant, chers visiteurs de ces auditions.

Jack_Bothma.jpg

   

Mesdames, Messieurs les sénateurs et représentant, chers visiteurs de ces auditions.

Aujourd’hui je viens partager une petite partie du témoignage de mon Père Jack Bothma né le 27 décembre 1943 à Muramvya de Père Belge John Bothma et de sa Mère Burundaise Feza Nzabirabandi. 

Ce témoignage est celui de mon Père pour sa petite fille Shaoline.

Sachant qu’il était condamné, il a réunis ses dernières forces heures après heures afin d’enregistré plusieurs CD.  Ce serait son héritage qu’il laisserait à sa petite fille Shaoline afin qu’elle connaisse son histoire ainsi que cette page d’histoire absente des livres scolaires. 

Voici des extraits du témoignage de mon Père Jack Bothma:

De 1943 à 1952

Mon Père John Bothma travaillait pour le gouvernement Belge; il construisait des routes, des ponts au Congo et Ruanda-Urundi.  Et faisait aussi le guide de chasse pour certains blancs. Il était très régulièrement en déplacement. Il a reconnu 9 de ses enfants, une première fille en Indonésie ensuite 6 enfants blancs et les deux métis de la colonie Belge plus jeunes, mon petit frère Augustin et moi nés de Mères différentes. 

Depuis ma naissance j’étais en danger, car la famille blanche n’appréciait pas du tout mon existence. De mes 0 à 3 ans, mon Père m’envoya chez des religieux protestants à une longue distance de chez nous, pour ma sécurité. 

A partir de mes 3 ans j’ai vécu avec mon Père, dans la brousse nous nous déplacions au fur et à mesure de la construction des routes.

Lorsque je devais avoir environs 5 ans, on me dit que mes 3 frères blancs venaient passer les vacances avec nous. Durant l’année scolaire ils étaient à l’internat des européens.  J’étais très heureux de passer du temps avec mes grands frères. Mais ce n’était pas réciproque, ils m’ont toujours rejeté car j’étais métis.  Un jour pourtant ils m’ont proposé de les accompagner à la chasse, très heureux, je les ai suivis.  Mais dans la brousse ils m’ont attrapé et jeté dans un trou de prospection minière.

En rentrant, mon Père leur a demander ou j’étais, ils n’ont pas voulu le dire, l’alerte a été lancée avec un tamtam et les ouvriers sont partis dans la brousse pour me chercher.  A la tombé de la nuit, par chance ils ont fini par me retrouver, la région était infestée de léopard et serpent dangereux et je n’aurai probablement pas survécu.

Lorsque, mon père à commencer à être malade, il a fait un testament pour mon petit frère et moi, pour que l’on puisse faire des études, en prévision de son décès.  Il du partir à l’hôpital, à Bukavu. Qui était à 200 de kilomètres de là. Au début on était ravitaillé de vivres par le camion de l’état. Mais petit à petit il y avait plus de l’argent, plus de ravitaillement, plus rien. On était abandonnés là à cette maison, à Matili. Et un jour, on vit de loin, une grosse limousine noire. Augustin et moi, sommes  allés  sur la route pour faire des signes et la voiture s’est arrêtée. 

C’était la femme du gouverneur de Bukavu qui connaissait bien notre papa.  On lui a expliqué qu’on avait plus à manger, plus d’argent, plus rien. Qu’on était abandonnés là. Alors elle nous a proposé de nous emmener à Bukavu. Et comme ça on a quitté Matili en laissant tout derrière nous, les meubles, les armes, les objets. 

On est arrivé à Bukavu chez Delvaux un ami de mon Père.  Au bout d’une semaine, notre père est arrivé. Il avait l’air de bonne humeur et en forme. Il a dit voilà, maintenant je prends des congés pour aller chasser.  Au  fait je crois qu’il savait qu’il était condamné, que ça ne valait plus la peine.  Il a décidé qu’on irait à Rutshuru au-dessus de  Goma, pour chasser. 

À Rutshuru, on a été accueilli chez un docteur, on était bien reçu. Nous sommes partis dans une maison à plusieurs kilomètres de là, à la limite du parc. Il y avait beaucoup de lions, d’hyènes et des hippopotames.  Dans la plantation de café, une à 2 fois par mois, des ouvriers se faisaient attraper par les lions, et se faisaient dévorer. 

La nuit on attendait parfois les bêtes qui venaient, surtout les hippopotames, ils venaient se frotter contre le mur de la maison.  J’avais peur, la nuit. Un jour, on est venu nous dire, qu’il y avait des éléphants dans les environs. Mon Père a pris son fusil, de l’eau, 2 Congolais et ils sont partis, ce jour-là mon Père a fait une crise durant la chasse. 

Quand ils l’ont ramené,  on m’a dit d’aller chercher du secours.  Il y avait un colon de l’autre côté de la brousse. J’y suis allé à pied au travers des papyrus géant, là où il  y avait des hippopotames, des lions et des hyènes.  J’étais petit et j’avais peur. 

Quand je suis arrivé chez le colon, il a pris sa voiture et à dit, « vas-y, j’arrive ! ». Et j’ai dû refaire le chemin dans l’autre sens, mais entretemps la nuit était tombée. On aurait dit que mes pieds ne touchaient pas le sol, tellement j’avais peur, je n’avais que 9 ans. 

Et quand je suis enfin arrivé à la maison, papa n’était plus là. Le monsieur l’avait embarqué pour Goma. Et là on l’a mis dans un petit avion, pour aller plus vite, vers Bukavu. Et nous on est resté là. Il est mort le lendemain vers  8 heures. 

Et à partir de ce moment-là, mon enfer allait commencer et je ne le savais pas encore. 

J’avais 9 ans et Augustin 5. On était avec la maman d’Augustin. On avait demandé au fils du docteur de nous ramener à Rutshuru, chez eux.  Il n’a pas voulu. On a dû repartir chez le docteur à pied, avec une petite bouteille de limonade et une petite bouteille d’eau gazeuse.

Entretemps des européens ont été à la maison de mon Père pour prendre ses armes, ses biens et certains papiers. Des gens que je ne connaissais pas.  

Au moment même je ne réalisais pas que je ne verrais plus jamais mon père. Je ne comprenais pas j’étais trop petit.  Personne n’a pleuré, on ne comprenait rien, on ne comprenait pas pourquoi on devait aller à pied, alors qu’il y avait une camionnette sur place et un Belge qui pouvait nous emmener. 

On a mis 3 jours à marcher au long de la route. Et quand c’était le soir, la maman d’Augustin ouvrait une de ces jupes Africaines et la mettait par terre et voilà, on dormait comme ça. On n’avait pas à manger, juste un peu à boire. La nuit on entendait  les animaux et rugir les lions, on avait peur nous étions accrochés aux jambes de la Mère d’Augustin. Personne ne criait, elle pour ne pas nous effrayer, moi pour ne pas faire peur à mon petit frère. Mais on savait qu’on était des proies faciles, que si on était attaqué on n’avait aucune arme pour se protéger et donc aucune chance.

Le lendemain on continuait notre route, on a continué comme ça jusqu’à Rutshuru chez l’ami de mon Père le docteur, ou on logeait avant d’aller à la chasse.

A notre arrivé cet « ami » avais l’air bizarre. Nous nous sommes dirigés vers nos chambres comme précédemment quand il nous a rattrapés en disant « ICI vous autres, maintenant vous dormirez là-bas avec le boy dans la pailles ! ».  On ne pouvait plus rentrer dans la maison.

Alors qu’il avait été gentil quand mon Père était vivant, à partir de ce jour on était des parias.

On est resté là une semaine ou deux, ensuite j’ai attrapé la malaria. Il m’a fait transférer au dispensaire des noirs. Couché sur un lit de paille, je voyais à côté de moi des malades dont on amputait les jambes avec des scies à bois, il n’y avait pas d’anesthésie alors on les assommait avant d’amputer.

Et moi, petit, je devais voir ça. J’avais une peur terrible, Je croyais que si je m’endormais ils allaient aussi couper mes jambes. J’étais stressé à mort. Et puis petit à petit la fièvre est partie. Le docteur a ordonné à un chauffeur africain de nous conduire à Goma, avec une camionnette. 

Comme la mère d’Augustin pleurait car nous n’avions rien, pas d’argent, pas de nourriture, une femme nous a donné l’hospitalité dans sa cabane. De tous les blancs qui nous connaissaient, aucun n’a voulu nous aider. C’est à ce moment-là que j’ai commencé à voir les choses autrement, la différence entre la vie du vivant de mon Père et celle à la merci des autres.

Après 2 semaines, on a finalement pris le bateau pour Bukavu.  On devait rejoindre la maison de Delvaux.   Le chemin à pied était long, on est arrivé à la maison plein de boue. Delvaux n’était pas là. Les boys nous ont laissé nous laver, Ils nous ont installé, ils nous ont fait à manger. Ensuite ils nous ont dit que Delvaux était parti à Matili, ou nous habitions quelque mois avant, pour enfermer toutes les affaires de mon père et les ramener à Bukavu.  

Une semaine plus tard, à son retour, il a commencé à crier qu’on ne devait plus rentrer dans la maison, qu’on devait dormir avec les boys dans la cabane. J’étais étonné parce que c’était quelqu’un de gentil quand mon père était vivant, il jouait avec nous, on l’appelait oncle Delvaux. Et là il avait tout à fait changé. 

En fait c’était lui qui était le tuteur des enfants Bothma. Et comme nous on était métis, il  essayait de se débarrasser de nous. Comme ça il n’aurait plus qu’à s’occuper des enfants blancs ainsi que du testament et de l’héritage de notre Papa. 

Alors quelques jours plus tard, on a dû aller avec lui chez le gouverneur à Bujumbura afin de régler des tas des papiers, ensuite il devait nous conduire à l’internat de SAVE. 

Sur la route de l’internat, en pleines forêt entre Bujumbura et Muramvya, il a arrêté sa camionnette et il nous a fait descendre. Et il a dit qu’il retournait en Europe avec notre grande sœur blanche,  pour se marier.  Et nous on devait se débrouiller.  On a du faire le chemin à pied, cela a pris plusieurs jours, nous avions 9 et 5 ans.

On a dormi chez l’une ou l’autre personne qui voulait bien nous accueillir on dormait entre les chèvres, les vaches, les veaux, ça puait, mais il y avait un toit sur la tête.  C’est comme ça qu’on commençait à apprendre à se résigner.  

De 1952 à 1960

Ma mère s’était remariée à un Burundais Musulman, comme j’étais métis et protestant par mon père, j’étais mal vu parce que j’étais un enfant de blanc. 

À Bujumbura, dans sa famille, dès que  je faisais une chose, c’était  tout le quartier qui me courait après. Et j’avais aucune défense, il fallait subir, les coups, les insultes, enfant de blancs. Demi-blancs, Musungu.  Je ne comprenais pas pourquoi les gens étaient si méchants, je ne leur avais rien fait.

Entretemps, l’administrateur de Muramvya est venu trouver Augustin qui était resté avec sa maman et l’a fait envoyer à Save. Un internat conçu et fait spécialement pour les mulâtres de la colonie Belge, SAVE.  Moi, c’est plus tard  que des  militaires sont venus, me chercher pour m’amener à SAVE.

Beaucoup d’enfants à SAVE étaient encore des bébés à leurs arrivée et beaucoup  ne connaissaient pas leurs origines, ni le nom de leur père.  Il arrivait aussi qu’il y ait des frères et sœurs ayant le même père mais qui ne se connaissaient pas parce qu’ils étaient arrivés à différents moments.